Page:Rouxel - Les premiers colons de Montréal, 1857.djvu/5

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présomption et de témérité que l’opinion publique soulevait contre leur entreprise.

« Comment avez-vous pu mettre dans votre esprit, qu’appuyés de nos propres forces, nous eûssions présumé de penser à un si glorieux dessein ? Si Dieu n’est point en l’affaire de Montréal, si c’est une invention humaine, ne vous en mettez point en peine, elle ne durera guère ; ce que vous prédisez arrivera. Mais si Dieu l’a voulu, qui êtes-vous pour y contredire ? Appuyés sur sa parole, nous croyons que cette œuvre est de Dieu. Pour vous qui ne pouvez ni croire ni faire, laissez les autres en liberté de faire ce qu’ils croient que Dieu demande d’eux. »


« Vous dites que l’île de Montréal est trop proche des Iroquois, que les Français y seront exposés aux surprises et à la boucherie de ces barbares. Mais si, par la permission du ciel, nous ne pouvons ni convertir les Iroquois, ni les obliger d’avoir la paix avec nous, nous leur ferons une si juste, si sainte et si bonne guerre, que nous osons espérer que Dieu fera justice de ces petits Philistins qui troublent ses œuvres… Enfin, si Dieu veut nous accepter pour victimes, en permettant que nous soyons pris et massacrés par les barbares, n’estimez pas, pour cela, vous voir délivrés de nous ; car, de nos cendres, Dieu en suscitera d’autres, qui feront encore mieux que nous. »


« Messieurs, jugez-en par vous-mêmes. Ce ton noble et calme avec lequel ils développent et justifient un projet, imprudent et même extravagant aux yeux de la sagesse humaine ; cet abandon filial à la divine Providence ; le succès qui, depuis deux siècles, a couronné leurs travaux, ne sont-ce pas là autant de caractères évidents, qui impriment à la fondation de Ville-Marie, le sceau des œuvres providentielles et divines ?

« Le premier pas était fait : le plan de la colonie était conçu, mais l’exécution n’en était pas facile, car les conditions proposées aux futurs colons n’étaient rien moins que séduisantes.

« Aucun attrait pour la cupidité : point de mines d’or où l’on ramasserait à pleines mains le métal précieux ; point de peuples doux et timides à réduire en esclavage ; il fallait échanger la belle patrie pour une contrée peuplée de hordes farouches, construire une cabane dans une île ouverte aux invasions des Iroquois, et en défricher le sol inculte, pour avoir de quoi vivre.

« Avec des offres pareilles, comment recruter des colons ? La divine Providence y a pourvu ; elle a préparé aux associés de la compagnie de Montréal de dignes coopérateurs.

« À leur appel, cinquante-cinq hommes partent pour aller fonder la Ville-Marie ; et quelques années après, un renfort de cent-huit hommes vient relever la colonie sur le penchant de sa ruine ; leur chef était un gentilhomme français, Paul Chomedey de Maisonneuve, qui joignait à une prudence consommée et à un courage éprouvé, les sublimes vertus qui caractérisent les saints.

« Quel ravissant spectacle pour les anges et les hommes ! Dites-moi, Messieurs, connaissez-vous dans le cœur humain un motif assez fort pour inspirer, non pas à deux ou trois individus isolés, mais à toute une multitude, un sacrifice aussi généreux ? Pour moi, je n’en connais pas… Oui, ces hommes, suscités de Dieu, avaient pour mobile une inspiration qui venait d’en-haut. Et, en effet, chacun d’eux était un apôtre, un martyr, un héros ; ce sont les trois points de vue sous lesquels nous allons les considérer.

« I. D’abord, ils possédaient à un éminent degré l’esprit d’apostolat : c’était dans le dessein de procurer la gloire de Dieu et la conversion des Sauvages, que nos aïeux s’arrachèrent aux douceurs d’une patrie heureuse et florissante ; comme les apôtres, ils pouvaient dire à ces infortunés :

« Ce ne sont pas vos biens, c’est vous-mêmes, que nous venons chercher de par-delà les mers ; non point pour vous réduire en esclavage, mais pour vous apporter la véritable liberté des enfants de Dieu. »


« Ne pouvant agir sur ces êtres intraitables par la persuasion de la parole, ils se bornaient à une prédication, muette il est vrai, mais dont l’éloquence est irrésistible sur les cœurs les plus rebelles : le bon exemple. La cité naissante était un modèle de toutes les vertus ; en lisant la relation naïve et touchante que le P. Vimont nous a transmise de leur tendre charité, de la pureté de leurs mœurs, de leur piété sincère, et surtout de leur zèle ardent, nous nous sentons transportés en esprit jusqu’aux temps de la primitive Église, où chaque fidèle vivait comme un saint, en attendant que l’heure du martyre vînt à sonner.

« II. C’est qu’en effet, à l’exemple de ces premiers chrétiens, nos pères n’étaient pas seulement une colonie d’apôtres ; ils étaient encore un peuple de martyrs, qui mouraient en défendant la foi, plantée par eux sur les rives du St. Laurent. — Et quelle mort ! grand Dieu ! ce n’était pas cette mort, qui foudroie d’un seul coup le guerrier dans l’enivrement de la bataille ; c’était une mort cruelle et