Page:Rouxel - Les premiers colons de Montréal, 1857.djvu/6

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obscure. Aujourd’hui l’un tombe percé d’une flèche lancée par une main invisible, pendant qu’il se livre aux travaux de la moisson ; une autre fois, après une attaque vigoureusement repoussée, on rapporte un colon, dont la chevelure a été cruellement scalpée, ou dont le crâne a été horriblement fracassé par le casse-tête d’un sauvage ; un autre jour, le tintement lugubre du tocsin appelle les citoyens aux armes ; on accourt ; il est trop tard ; déjà les Iroquois se retirent, entraînant avec eux une innocente victime, sur laquelle ils rassasieront à loisir leur froide barbarie par des tourments inconnus aux Néron et aux Domitien.

« Toutefois cette mort affreuse à laquelle chaque Montréaliste devait se tenir prêt tous les jours, ils ne la redoutaient pas ; que dis-je, ils l’appelaient de tous leurs vœux, car le véritable apôtre ne soupire qu’après la palme du martyre. Oui, c’était l’espoir de verser leur sang pour Dieu, qui leur adoucissait une vie semée de fatigues et d’alarmes. Tous étaient pénétrés des sentiments si noblement exprimés par Lambert Closse, digne lieutenant de M. de Maisonneuve. — Un jour ses amis lui reprochaient la facilité extrême avec laquelle il s’exposait pour la défense de la colonie, et lui représentaient qu’il se ferait tuer infailliblement :

« Messieurs, répondit-il, je ne suis venu à Ville-Marie, qu’afin d’y mourir pour Dieu en le servant dans la profession des armes ; et si je savais que je ne dûsse pas y périr, je quitterais le pays pour aller servir contre le Turc, afin de n’être pas privé de cette gloire. »


« Jamais l’antiquité païenne n’entendit une réponse aussi magnanime… Des vœux si purs et si chrétiens méritaient d’être exaucés : Lambert Closse et la plupart des premiers colons obtinrent l’un après l’autre la couronne du martyre. Parcourez les actes de sépulture de la paroisse de Ville-Marie pendant les premières années qui suivirent sa fondation : à part quelques enfants morts en bas-âge, le plus grand nombre ont péri sous les coups des Iroquois, ou des suites de leurs blessures. Ces registres sont le glorieux martyrologe de Montréal : il y a des pages dignes d’être ajoutées aux actes des martyrs.

« III. Ne croyons pas cependant que ces apôtres zélés, ces généreux martyrs, ne fussent qu’un troupeau timide qui se laissait égorger sans résistance. Sans doute, ils n’étaient pas venus dans le dessein de guerroyer contre les sauvages, dont ils ne désiraient que le vrai bonheur ; mais quand la colonie était en danger, tous les citoyens, quittant la paisible charrue ou les humbles instruments de l’artisan, se trouvaient transformés en autant de héros.

« Ô ! que d’exploits oubliés ! que d’héroïsme inconnu pendant cette guerre d’un demi-siècle, qui ne fut jamais interrompue par un traité de paix ou par une trève ! — Hélas ! un petit nombre de faits seulement sont parvenus jusqu’à nous ; perte déplorable et qui ne peut plus se réparer ; nos plus beaux titres de noblesse sont perdus pour jamais.

« Gardons-nous cependant d’accuser nos aïeux d’une coupable indifférence. Ils savaient mieux faire de grandes choses que les écrire ; et d’ailleurs l’héroïsme était chose si ordinaire à Ville-Marie, qu’il n’était plus remarqué ; chacun s’imaginait, en faisant les actions les plus sublimes, s’acquitter d’une obligation commune, et ne pensait pas plus à rechercher les applaudissements et les louanges, que ses concitoyens à les lui donner.

« Mais pour nous, enfants de ces héros inconnus à eux-mêmes, c’est un devoir sacré de recueillir avec respect la moindre parcelle de ce trésor de gloire, dont ils étaient si peu soucieux.

« Je laisse à d’autres la noble tâche de célébrer les divers épisodes de cette lutte soutenue corps-à-corps par la civilisation contre la barbarie. Cependant pour en donner un exemple, permettez-moi de raconter un exploit militaire, comparable à celui des Thermopyles.

« Depuis près de vingt ans, Montréal était pour ainsi dire bloquée par les Iroquois, qui venaient égorger ou enlever les colons jusqu’au seuil de leurs demeures. Mais une recrue de cent hommes étant venu relever la colonie, dix-sept Montréalistes commandés par le brave Dollard forment le projet audacieux d’aller porter la guerre au cœur du pays des Iroquois, afin de leur inspirer la terreur des armes françaises.

(En rapportant cet acte d’un courage surhumain, et en parlant du brave commandant de ces 17 braves Montréalistes, nous croyons que M. Rouxel, à l’exemple de plusieurs écrivains, a prononcé Daulac, mais nous prenons la liberté d’écrire Dollard, ayant vu de quoi nous convaincre que telle est la véritable orthographe du nom de cet intrépide guerrier. Voici les détails de l’action ; n’interrompons pas davantage le récit palpitant d’intérêt de M. Rouxel.)

« Leur mort est certaine : ils le savent ; aussi commencent-ils par dire un éternel adieu à leurs frères d’armes, font leur testament, reçoivent les sacrements de l’église avec une ferveur angélique, et s’engagent par