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LA MAIN DE FER

— Douze ans, M. le marquis.

— Tant que cela ?… le pays vous plaît donc ?…

— Oui, beaucoup !…

— Et c’est grand le Canada ? demanda de Coissy.

— Comme dix Frances… et peut-être plus, car la partie occidentale n’est pas encore bien connue…

— J’ai ouï dire que le climat en hiver est très rigoureux, remarqua le comte, et qu’il vous faut sortir enveloppé dans de chaudes fourrures… et que malgré cela… les gens souffrent grandement du froid !… Est-ce bien le cas ?…

— Il y a quelques journées qui sont bien rudes en hiver, mais cela n’empêche point que l’on ne fasse ce que l’on a à faire. On s’habille un peu plus qu’à l’ordinaire ; on se couvre les mains d’une sorte de gants appelées mitaines en Canada. L’on fait de bons feux dans les maisons, car le bois ne coûte que la peine de le couper et le mettre dans l’âtre du foyer. La plupart des jours sont extrêmement sereins et l’air est sain en tout temps, surtout en hiver.

— L’été ?… Comment est l’été ?… demanda M. d’Aubigny.

— La température ressemble à celle du pays d’Aunis.

— Y a-t-il beaucoup d’habitants ? voulut savoir le prince.

— À cela, monseigneur, je ne puis répondre rien de positif.

Le comte de Montbazin qui avait un faible pour le jus de la treille s’informa :

— Quelle boisson boit-on à l’ordinaire ?

— Du vin français, et du bon, dans les meilleures maisons ; du cidre, aussi importé, et de la bière, dans d’autres. Ce breuvage dont l’orge et le houblon sont la base, est fabriqué à Québec et à Trois-Rivières ; une autre boisson appelée bouillon se boit communément dans toutes les maisons…

— Du bouillon ? demanda M. de Montbazin.

— Quel sorte de bouillon ? ajouta M. de Coissy.

— Il est fait de pâte crue mais levée ; on cuit cette pâte dans un chaudron plein d’eau et, quand elle est rassise puis séchée, on en prend la grosseur d’un œuf que l’on jette dans l’eau pour boire !  !  !…

— Quel breuvage ! remarqua le comte.

— Vous aimeriez mieux le vin, n’est-ce pas ? dit M. de Coissy.

— Sans doute !…

— Et M. de la Salle, interrogea encore le comte, se boit-il autre chose dans ce beau pays ?

— Oui, M. le Comte ; il y a aussi un liquide qui est fort bon et commun…

Et un fin sourire parut aux coins de la bouche de M. de la Salle, et mit une lueur gaie dans ses yeux. Son interlocuteur ne s’en aperçut point, autrement il aurait soupçonné le piège tendu. Il demanda donc tout bonnement :

— Lequel ?

— De l’eau… que les plus pauvres boivent…

À cette réponse, tous se mirent à rire aux dépens du comte.

M. de Tonty qui, jusque-là, s’était borné à écouter les propos de ses voisins glissa sa question.

— Avez-vous des chevaux ?

— Bien peu. On ne les a introduits que depuis 1665 !

— Alors, comment voyagez-vous ?… À pied ?…

— La route entre Québec, Montréal et Trois-Rivières est praticable pour un cavalier, mais à l’ouest de cette dernière localité, si le voyageur ne va pas en canot, il lui faut aller à pied n’y ayant pas de chemins commodes pour chevaucher… Nous employons généralement comme mode de transport d’un point à un autre, le canot.

— Mais quel profit peut-on faire là ?… Que peut-on en tirer ?…

— C’est une question, M. le baron qui m’a été faite maintes fois, dit De la Salle. Le Canada extrêmement vaste, est bon, capable comme la France de produire toutes sortes de choses, et l’on y est bien. Il y a de grandes richesses dont l’acquisition n’est pas sans danger, parce que nous avons un ennemi redoutable, cruel, sanguinaire, cherchant toujours l’occasion de nous causer du mal, et qui nous empêche de nous écarter pour faire aucune découverte. Il faudrait qu’il fût détruit, que nous ayons beaucoup de monde, avant de connaître les avantages du pays… Mais pour faire cela il faut que quelqu’un en fasse la dépense, et qui la fera si ce n’est notre bon roi ?… Il a témoigné le désir de le faire, Dieu veuille le faire persévérer dans sa bonne volonté !…

La conversation roula encore quelque temps sur ce sujet, puis, le repas fini, après