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LA MAIN DE FER

férieure pour alimenter son feu et hâter le sèchement de ses habits. Cela l’occupa tard dans la soirée, mais il avait la satisfaction en revêtant ses habits de les sentir secs et chauds, ainsi que l’atmosphère de sa demeure souterraine beaucoup plus tempérée qu’à son arrivée, mais la fumée que la tempête refoulait en grande partie dans la grotte l’incommodait fort.

Cependant, Luigi, à ses heures raisonnait comme un philosophe.

En cette circonstance où la faim commençait à lui tirailler l’estomac, il se dit qu’il ne pouvait tout avoir et qu’il devait s’estimer heureux de posséder un bon feu, sans parler de son sauvetage providentiel.

Ayant bouché l’orifice du couloir avec une grosse pierre, il s’étendit auprès du foyer et, fatigué, rompu à la suite des événements du jour, il s’endormit.

Le lendemain, il s’éveilla tard dans la matinée.

La tempête, au dehors, battait toujours son plein. C’était l’équinoxe automnal.

La faim plus impérieuse torturait les entrailles du naufragé, qui se décida enfin à partir en exploration vers l’inconnu, refaisant le trajet de la veille.

Il grimpa sur le reste du bûcher, et parvint, non sans peine à se hisser à travers le puits de la voûte. Autre chambre ou caverne entièrement obscure. Alors, la main droite armée de son couteau, et la gauche tendue devant lui il avança prudemment. Soudain, le contact d’un corps velu l’arrêta frissonnant. Il bondit en arrière et prit une attitude défensive. Il écouta attentivement afin de saisir le moindre bruit indicatif des mouvements de l’être velu, et de se guider dans sa riposte, mais il n’y eut rien qu’un silence lourd, oppressif, à faire bourdonner les oreilles.

L’autre évidemment adoptait la même tactique.

— S’il ne veut pas commencer l’attaque, pensa Luigi, allons-y !… Mais, je me rappelle, se dit-il tout à coup, j’ai touché à un corps très poilu, c’est donc celui d’une bête !… Ça m’étonne de ne pas entendre grogner, par exemple !… Ça devrait grogner !… Faut que je m’assure de ce que c’est… cette incertitude m’étouffe !…

Il prit un morceau d’amadou dans sa boîte, l’alluma et le lança dans la direction de sa fâcheuse rencontre de la minute d’auparavant.

La lumière diffuse dans la trajectoire du tison lui permit de relever la topographie du local, comme en un instantané portrait. Il reconnut suspendu à la voûte un chevreuil sans vie.

Enhardi par l’absence de tout danger, Luigi devint plus vaillant. Et comme son estomac criait famine, il joua du couteau et se tailla plusieurs tranches de venaison, qu’il emporta sur-le-champ à son premier repaire pour les griller sur la braise.

Il y a la fièvre de la faim qui n’est autre chose que la faiblesse produite par le manque de vivres. Luigi n’attendit pas que les grillades fussent à point pour les dévorer. De ses mains tremblantes de hâte, il les enleva du feu, et mordit à belles dents dans la chair mi-crue, mi-rôtie, puis, se ravisant soudain, il se dit :

— Là !… là !… pas d’imprudence, on a le temps !… Faut pas manger goulûment, si on ne veut pas en crever !…

À mesure que sa faim s’apaisait la réflexion venait l’assiéger.

Le bois bien empilé dans la grotte contiguë, et le chevreuil suspendu dans l’autre caverne, indiquaient clairement le voisinage d’un ou de plusieurs bipèdes, dont le contact serait peut-être dangereux.

Une fois bien restauré, notre naufragé se sentant plus fort partit à la découverte des cryptes au-dessus de lui.

Il avait raisonné ainsi :

— Si je remets à plus tard cette excursion dans le domaine de l’inconnu, c’est moi qui serai visité, car on ne peut manquer de remarquer mes emprunts à la chair du chevreuil et la disparition d’une partie du bûcher. On me tendra un piège ; ou me guettera, et malgré mes précautions je serai pris. Allons donc immédiatement en exploration, alors qu’on ne m’attend pas, ou que l’on ne se doute même pas de ma présence. J’ai une arme et malgré mon jeûne récent, je suis encore capable de lutter avec n’importe qui… si je suis attaqué !…

Il traversa rapidement les grottes du bûcher et du chevreuil. Il allait entrer dans une troisième dont l’accès était facile, mais il s’arrêta brusquement.

Il venait d’apercevoir droit devant lui des ombres fantastiques courant et gambadant.

Il comprit bientôt ce que signifiaient ces cho-