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LA MAIN DE FER

porta le canot et les effets à la baie, éloignée de trois milles.

On remit l’embarcation à l’eau dans l’Anse à l’Esturgeon, et le pilote guida à tout hasard sur la droite sans savoir où il allait. Au bout d’une lieue environ, ils trouvèrent encore des cabanes vides, portant des traces de très récente occupation, ce qui leur fit espérer de rencontrer des êtres humains à courte échéance.

À quinze milles de là, le vent les arrêta, et dans les huit jours de halte qu’ils y firent à cause des éléments contraires, le restant de leurs vivres fut consommé.

Leur situation était précaire. L’on tint conseil pour aviser aux meilleurs moyens à prendre afin de rejoindre les Sauvages. Les engagés de De la Salle demandaient de retourner au village abandonné parce qu’il y avait du combustible et que l’on pourrait y mourir plus chaudement.

Le vent s’étant apaisé, Tonty rembarqua ses gens, et vogua de nouveau à l’aventure.

En rentrant à l’Anse à l’Esturgeon, ils virent du feu sur la grève et s’y rendirent avec empressement. Hélas ! les Sauvages qui l’avaient allumé venaient d’en partir !

Pensant qu’ils étaient allés à leur village, Tonty résolut de les suivre, mais durant la nuit l’Anse se couvrit de glace et l’usage du canot devint impossible. Cependant l’espoir d’un secours prochain ranima les braves voyageurs. Ils se firent des souliers du manteau de castor de feu le P. Gabriel, faute de cuir.

Au moment de partir, l’un des subalternes se plaignit tout à coup de douleurs à la poitrine, occasionnées probablement par un morceau de pareflesche (morceau de peau de castor) mangé la veille au soir. Comme Tonty le pressait de partir, deux Outaouais arrivèrent. La vue de ces deux peaux-cuivrées réjouit les Français ; celui-là même qui était indisposé jura qu’il en ressentait du bien.

Ils les conduisirent chez les Poutéaoutamis, où il y avait déjà d’autres Français et Tonty y reçut un bon accueil. Le P. Membré laissa là ses compagnons pour aller hiverner chez les PP. Jésuites dans le fond de la baie.

Au printemps Tonty s’en alla à Michilimakinac où il arriva vers la Fête-Dieu.


CHAPITRE XII

L’EXPÉDITION AU MISSISSIPPI


De la Salle quitta Crèvecœur inquiet du sort du « Griffon » et retourna en toute diligence au fort Frontenac, pour en avoir des nouvelles. Dans sa route il rencontra des coureurs des bois, des Sauvages, des traiteurs et des officiers de la colonie, mais aucun, en réponse à ses interrogations, ne put le renseigner au sujet du navire disparu.

Les messagers de la nouvelle du désastre à Crèvecœur, dépêchés par Tonty, le rejoignirent à Cataracouy.

Aussitôt De la Salle prit des mesures pour surprendre les déserteurs à leur descente des pays d’en haut. Il s’embusqua sur le lac Ontario et lorsque les déserteurs arrivèrent, il en tua deux et fit les autres prisonniers.

Il organisa à la hâte un parti pour secourir son digne lieutenant, mais il atteignit Crèvecœur trop tard. Tonty n’y était plus ; les Iroquois avaient disparu après avoir poursuivi et massacré un grand nombre d’Illinois. De la Salle chercha parmi les morts laissés sans sépulture, redoutant d’y trouver le corps de son fidèle ami. Ses recherches furent infructueuses et il s’achemina vers le fort des Miamis pour y passer l’hiver, reconstruisant auparavant le fort Crèvecœur.

Pendant ce temps, Tonty et ses compagnons, surmontant des difficultés et des misères extrêmes, gagnaient un village de Poutéaoutamis, au nord des Illinois.

Au printemps, avons-nous dit, le gentilhomme italien se dirigeait sur Michilimakinac. De la Salle en faisait autant, et tous deux se retrouvèrent avec une joie facile à imaginer.

Ils se concertèrent sur les moyens à prendre pour le voyage prémédité sur le Mississippi, et décidèrent de rentrer au fort Frontenac y organiser immédiatement les choses nécessaires à cette expédition. Le P. Membré les accompagnait.

Étant arrivés dans le lac Ontario, De la Salle prit les devants pour préparer un bateau que l’Italien attendit au village de Teyagon, et de là s’embarqua pour les Illinois. À la rivière des Miamis où De la Salle devait venir les retrouver, la troupe de Tonty s’adjoignit encore quelques Français et quelques Sauvages.