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LA MAIN DE FER

droit pour reprendre une autre étape, et que la Providence me favorisait comme les deux jours précédents.

Je me glissai d’arbre en arbre et j’arrivai au campement. La cendre du foyer était encore toute chaude. J’entrai dans la plus petite des cabanes, — il y en avait deux, — et je constatai à mon extrême surprise qu’elle ne devait être que temporairement abandonnée. Il y avait dans un coin sur un lit de feuillage, des peaux moelleuses étendues. Un fusil était appuyé contre la paroi opposée et quelques habits étaient jetés pêle-mêle dans l’un des coins de la hutte. Tout indiquait que les maîtres ne pouvaient être loin et que leur retour pouvait avoir lieu dans un moment à l’autre.

Comme je me faisais cette réflexion, j’entendis des voix humaines, qui se rapprochaient.

Fuir ?

Un coup d’œil risqué au dehors me montre qu’il est trop tard car je serais découvert.

Me cacher ?

Pourquoi ?

Ai-je affaire à des ennemis ? Je ne sais, mais un mouvement instinctif me pousse à m’ensevelir sous les vêtements entassés en la partie obscure de la cabane.

Les voix se rapprochent.

On entre. Au langage, je reconnais que les deux hommes sont des Français. Je me crus sauvé ! J’allais me lever et réclamer secours lorsque quelques paroles me retinrent dans ma cachette.

L’on parlait de vous, messieurs, en termes malveillants.

— De nous ? s’exclamèrent ensemble De la Salle et Tonty.

— Oui !

— Et que disait-on ?

Lorsqu’ils franchissaient le seuil, ils disaient : — Ainsi, tu les as bien vus ?

— Oui !

— Ils étaient là tous les deux ?

— Tonty rentrait d’une partie de chasse, je crois. Ses habits et ceux de ses compagnons portaient les traces d’un voyage dans la savane.

— Aussi nombreux, sinon plus que nous.

— Penses-tu aller les attaquer cette nuit ?

— Ils se gardent trop bien.

— Que proposes-tu ?

— Attendre !… attendre patiemment !… Épier leurs gestes, et, lorsque quelques-uns se détacheront du groupe principal, nous en emparer. De la sorte nous les affaiblirons, et un coup de main aura plus de chance de réussite.

— Et quand nous tiendrons captifs les deux chefs français ?

— Nous deviendrons sauvages, et comme les Sauvages nous les torturerons !

— À même d’y passer une semaine, foi de Jolicœur !

— Comment ! c’est Jolicœur ! s’écria De la Salle. Jolicœur que vous aviez assommé à Paris, chevalier, d’un coup de votre main-de-fer, vous en souvient-il ?

— Certes ! nous l’avions laissé sur le pavé comme mort.

— Et il vit !… ah ! le coquin ! reprit De la Salle.

— Et moi, donc ! fit l’autre. Je voudrais que les tortures ne finissent jamais, aussi vrai que mon nom est Luigi Aniello. J’ai un bon compte à régler avec ce Tonty.

— Hein ! fit Tonty, surpris à son tour. En quoi ai-je pu m’attirer la haine de cet homme-là ? Son nom m’annonce un compatriote, mais je suis certainement sans reproche à son égard.

Dans les exhalaisons de sa haine, j’ai pu saisir qu’il en voulait à votre père… que votre père avait empoisonné le père de Luigi… et qu’il était aussi la cause de la mort de sa mère, tuée par le chagrin et la misère qu’elle avait endurée.

— Mais, fit Tonty, cet homme se trompe étrangement, mon père n’a jamais fait de mal à qui que ce soit. C’était un banquier Napolitain.

Après une rébellion de pêcheurs, où leur chef fut tué, mon frère passa en France et ne retourna jamais plus en Italie.

— Nous serons sur nos gardes, davantage, fit De la Salle.

Et sur le grand fleuve, les canots voguaient toujours, rapidement menés par les vigoureux nageurs.


CHAPITRE XIV

AUX BOUCHES DU MISSISSIPPI


Par un temps de brume on arriva à Kappa. L’on y battait du tambour. Ce signe, généralement précurseur de proclamation et de rassemblement, de nature pacifique ou belli-