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LA MAIN DE FER

fort et les soldats de La Salle un geste de défi.

— Feu !… feu !… cria le commandant.

Dans un nuage de fumée, les fusils crachèrent leur plomb meurtrier.

Ensuite, tous coururent au plateau. On espérait y trouver un cadavre. À si faible portée et parmi tant de projectiles, quelques-uns devaient avoir frappé, mais on ne vit rien ; pas plus de Jolicœur que sur la main !

Il avait pu se jeter dans la baie.

Des soldats montèrent dans des embarcations attachées au rivage et sillonnèrent la baie en tous sens. Le domestique de M. Cavelier ne reparut pas.

Il avait donc péri !

Plusieurs personnes demeurèrent une heure ou deux sur la berge examinant la surface de l’onde, s’attendant toujours à voir reparaître l’infortuné jeune homme.

Enfin, lassé, chacun réintégra son domicile ou s’en alla vaquer à ses occupations.

Mais cette affaire fournit matière à conversation, longtemps, le jour et le soir à la veillée.

De la Salle reçut la nouvelle sans mot dire ; peut-être jugeait-il la punition suffisante ?

Qui lui eut dit que de ce fait allait dépendre ses plus grandes misères, ses plus navrantes infortunes, des malheurs à décourager des caractères très forts, l’eût énormément surpris, mais probablement laissé incrédule.


Chapitre I

ATTAQUE NOCTURNE


Nous avons dit que le fort Frontenac fut construit en 1673. L’idée du gouverneur du Canada en élevant cette enceinte de palissades autour de quelques habitations et de quelques magasins, était de détourner, au détriment des Hollandais de Albany, le commerce des pelleteries que ceux-ci pratiquaient avec les Iroquois chassant dans le Haut-Canada, et, à cette fin, il accorda la permission de faire la traite avec ces sauvages, à deux marchands bien connus : Jacques Le Bert, de Montréal, et Charles Aubert de la Chesnaye, de Québec.

Au cours des années 1673-75, les deux associés eurent la jouissance du fort, des logements et des magasins, à charge de les tenir en bon état.

Au mois de mai 1675, Louis XIV donna le fort à Cavelier de la Salle, à condition qu’il le rebâtirait en pierre ; qu’il y entretiendrait vingt hommes pendant deux ans ; et, après cela, une garnison pareille à celle de Montréal ; qu’il placerait une colonie de cultivateurs dans le voisinage et qu’il rembourserait au roi les dix mille francs qu’avait coûté la construction du fort en 1673, ainsi qu’à Le Bert et à La Chesnaye les neuf mille francs par eux dépensés dans la même place ; moyennant quoi, La Salle pouvait faire seul le trafic du lac Ontario et plus loin même, durant les trois années finissant le 12 mai 1678.

Pendant l’été de 1677, De la Salle avait terminé le nouveau fort, formant un carré de quatre-vingt dix pieds, et comprenant quatre bastions. Plusieurs familles de colons avaient pris des terres près des murs de Cataracouy. Quant aux remboursements stipulés envers le roi et envers Le Bert et La Chesnaye, De la Salle les fit en 1677.

On le voit, il avait fait honneur à toutes ses obligations. Aussi dans l’automne de 1677, il s’embarqua pour la France, où il allait s’efforcer d’obtenir la continuation de son privilège de traite durant cinq années.

M. de la Salle, grâce aux lettres de M. de Frontenac, dont il s’était muni, n’eut pas trop de difficultés à obtenir ce qu’il désirait. Colbert le reçut avec bienveillance. D’ailleurs, à part ses lettres de recommandations qu’il apportait du comte de Frontenac, il comptait aussi de puissants protecteurs auprès du Roi-Soleil. Ceux-ci, grâce à leur influence, lui firent accorder plus qu’il n’espérait, car on lui concéda le privilège de construire des forts sur les Grands-lacs pour y développer son commerce.

Si la saison eut été favorable, l’infatigable Rouennais se serait très probablement mis en route pour le Canada, mais l’hiver était proche, et il n’y avait plus de vaisseau en partance pour cette lointaine contrée.

Profitant de ce séjour forcé dans la grande ville, il résolut de ne pas perdre ce temps oisivement, mais de cultiver et de bien entretenir l’amitié que lui portaient ses hauts protecteurs, en leur faisant sa cour.

Entre temps, il s’occupait aussi du soin de choisir une trentaine de courageux et forts gaillards pour les opérations qui germaient dans son cerveau et qui devaient voir leur éclosion sous le ciel canadien.

« Les jours se suivent et ne se ressemblent pas » avons-nous vu quelque part, mais pour M. de la Salle il n’en était pas ainsi. Chaque