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UNE PAIRE DE COQUINS

— À présent, parle ! dit-il, je t’écoute avec la plus grande attention !

— C’est ça !… Eh ! bien, figure-toi qu’hier matin j’ai retrouvé une ancienne connaissance, qui avait suivi MM. de la Vérendrye dans plusieurs expéditions… Tu sais, ceux qui pénétrèrent dans l’ouest jusqu’aux montagnes de roches, en 1743 ?

— Oui ; même que le père doit repartir au printemps pour ces régions lointaines à la découverte d’une mer ?… Faut aimer à se promener, car, pour ce que ça enrichit !…

— Il arrive parfois, mon cher Lanouiller, qu’en voyageant ainsi on peut trouver un trésor….

— Bast ! En a-t-il trouvé, lui, M. de Varennes ?

— Non !… Il ne travaille que pour la gloire… et Dame Fortune est toujours aveugle pour lui.

— As-tu été plus heureux, toi ?… Aurais-tu trouvé un second Pactole ?…

— Oh ! non !… mais….

Eh bien ! tu vois… interrompit Lanouiller.

— Mais, laisse-moi finir !… si je n’ai pas eu la main chanceuse, j’en connais un qui l’a eue…

— Va-t-en, blagueur !

— Puisque je te le dis !… d’ailleurs ne pense pas que j’ai passé à ton domicile, ce matin, uniquement pour le plaisir de t’offrir à déjeuner avec moi !… Écoute donc, et ne m’interromps plus.

« Je disais donc que j’ai renouvelé connaissance avec un ancien compagnon de voyage… qui n’avait plus le sou… mais lui ne m’a pas reconnu.

« La nuit précédente, le sort m’avait favorisé au jeu, et j’avais des jaunets dans ma poche. Donc, quand je vois le peau-rouge… Tiens, je ne t’ai pas dit que c’en était un ?… et que je m’aperçois qu’il ne me reconnaît pas, je lui offre un petit coup… parce que tu sais — ou tu ne sais pas — de l’eau-de-vie, il n’y a rien comme ça pour renouveler l’amitié avec les peaux-cuivrées… Mon homme ne refuse pas, et, en sirotant notre liqueur, je lui dégoise cinquante choses du passé qui lui prouvent que je le connaissais bien. Je lui offre d’autres verres, que le gaillard avale gaiement. Et nous devenons bons amis, le Bison et moi…

— Le Bison ! Celui qui a été assassiné la nuit dernière ?

— Oui

— Mon chef, monsieur le sub-délégué de l’Intendant, m’a fait avertir de cette affaire, et dire qu’il aurait besoin de mes services plus tôt que d’habitude, ce matin, pour prendre en note ce que l’enquête, qu’il veut faire, lui révélera.

— Je payai plusieurs consommations au pauvre diable qui, lorsque l’eau-de-vie eût noyé sa raison, s’oublia dans sa reconnaissance pour ma bonté envers lui, à me dire qu’il m’en récompenserait un jour… après son retour de l’expédition qui s’organisait… qu’il me donnerait de l’or au centuple pour l’argent que je dépensais à lui payer de l’eau-de-feu.