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L’AIGLE NOIRE

course, et trois courses étaient le plus que l’on pût infliger à un homme, d’une même haleine. Cette peine de la bouline, a été abolie en 1848.

Les guerriers indiens étaient disposés en deux longues rangées, laissant entre eux un vide où devait s’engager la personne à torturer. Chaque peau-rouge tenait en main une hart ou deux avec lesquelles il fouettait l’air. Les sifflements que produisaient ces harts, les ravissaient et ils attendaient joyeux le passage de la victime.

Brossard fut choisi le premier pour satisfaire à l’amusement barbare de la tribu. On le dépouilla de ses vêtements, puis on le poussa entre les deux haies terribles.

Aussitôt les branches d’osier, souples et flexibles, s’abattirent sur ses épaules, sur son corps, laissant des traces livides de leurs caresses brûlantes.

Brossard hurlant de douleur voulut biaiser à travers les rangs des Kinongé-Ouilini, mais ils le repoussèrent et frappèrent plus fort. Alors, il se lança à tête perdue dans la haie, faisant mille gambades et sauts de côté pour éviter les coups. Et les sauvages riaient, de le voir tant se démener ! Il y en avait qui en pleuraient de rire, ma foi !

Beaucoup demandèrent de le faire passer de nouveau, il était si amusant, mais le maître de cérémonie, le chef qui avait visité les prisonniers dans la hutte, déclara que les visages-pâles auraient chacun leur tour, qu’ils en verraient probablement de plus comiques que le premier.

De Noyelles était furieux.

— Ah ! les bandits !… les démons !… disait-il, si j’ai jamais la chance de leur retourner le compliment, ils n’y perdront pas !

De la Vérendrye, calme au milieu de cette scène, attendait héroïquement le bon plaisir de la meute humaine.

Un des soldats eut la seconde place. C’était un brave, celui-là, qui avait frisé la mort de près bien souvent, quand il avait fait la traite, qu’il chassait le bison et l’ours dans les vastes régions de l’Ouest. Le visage impassible il vint jusqu’aux rangées de Kinongé-Ouilini, et se tournant vers ses amis, leur dit en souriant, sans forfanterie :

— Regardez-moi ! c’est comme ça qu’il faut y aller !

Et prenant son courage à deux mains, il bondit dans l’allée douloureuse, où les coups lui tombèrent dru sur le corps, mais il en sortit sans avoir proféré une plainte ou un gémissement.

Les bourreaux étaient dans l’admiration et se disaient :

— Celui-là est un vaillant !

Mais un mouvement se fit parmi eux et ils agitèrent nerveusement leurs fouets, cinglant le vide, pour s’assurer qu’ils n’avaient pas perdu de leur flexibilité.

Les deux acolytes du maître de cérémonie, venaient de s’emparer de Joseph, le capitaine de la petite troupe, et le dépouillaient de ses habits.

On le lançait le troisième.

Les sauvages avaient hâte de voir si le chef des blancs serait bien brave.

En enlevant la chemise du chevalier, et mettant à nu sa poitrine,