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SECOND VOYAGE À LA PIPE

immédiatement votre infortune. Dès ce moment, nous nous jurions de vous sauver !

— Nous vous aurions délivrée à l’instant, dit Pierre, si nous n’avions pas surpris alors le projet d’un envahissement du fort et de notre massacre à tous. Il nous fallait d’abord aviser au plus pressé ; mais nous avons eu la main heureuse ; nos assaillants étaient conduits par le fils du Corbeau, et nous avons pu les faire tous prisonniers sans coup férir. Nous étions en mesure alors de dicter au Corbeau des conditions qu’il ne pouvait refuser. S’il eût refusé, nos fusils eussent parlé pour votre délivrance.

Pierre s’exprimait avec feu. Si la senorita eut été moins attrayante, je me demande si ses paroles eussent été les mêmes ?… Mais passons ; ceci n’est pas charitable !

— Ah ! dit-elle, que de reconnaissance je vous dois pour vos desseins nobles et généreux et l’acte qui les couronna !

— Veuillez n’en plus parler, mademoiselle, dit Joseph ; ce que nous avons fait — une autre bonne action — nous réjouit le cœur ; et d’autant plus que cette bonne action est en faveur d’une personne si accomplie.

— Dieu vous bénira pour cela… Votre curiosité senors, s’est sans doute éveillée à mon égard, et vous aimeriez à connaître mon histoire ?… Hélas ! elle est courte et bien triste !

— Si nous connaissions les détails de votre enlèvement ou de votre captivité par les sauvages, peut-être pourrions nous vous ramener à vos parents, à vos amis ? dit Pierre. Ce serait là le seul motif de notre curiosité.

— Je n’ai plus de parents ; mon père a été tué par les méchants hommes rouges qui m’ont emmenée en captivité, et tous nos amis ont subi le même sort que mon père.

Et les yeux de la jeune fille s’emplirent de larmes.

— Plus tard, reprit vivement Joseph, plus tard, mademoiselle, vous nous raconterez vos malheurs, s’il vous plaît de le faire. Aujourd’hui, le souvenir en est trop cuisant et ne peut que vous attrister. Soyez assurée d’une chose : nous ferons tout notre possible pour adoucir vos misères, et au printemps prochain, nous retournerons à Montréal, à Québec. Là, vous pourrez vous mettre sous la protection du gouverneur de la colonie, lequel vous donnera le moyen de retourner en votre pays, où vous retrouverez des amis ou des parents pour vous recevoir.

Les deux officiers se levèrent et, saluant l’Espagnole, sortirent.


XIV

SECOND VOYAGE À LA PIPE


La froide saison annonçait sa venue, déjà l’on avait vu quelques flocons de neige, par un ciel couvert de novembre, s’agiter et voleter follement au caprice de la brise. Le matin, les Français remarquaient que la gelée argentait l’herbe et les fleurs de la plaine et du vallon, et