Page:Roy - Le secret de l'amulette, 1926.djvu/27

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çaient d’une bonne allure sur l’onde fugitive, quand on aperçut, au soleil couchant, des montagnes à l’horizon.

Serait-ce là, les Montagnes Rocheuses ? demandèrent quelques-uns.

— Non, répondit Brossard.

— Comment sais-tu cela ? interrogea Joseph, intéressé subitement ; aurais-tu déjà pénétré jusqu’aux Montagnes de Roches ?

Brossard vit qu’il avait parlé trop vite et qu’il éveillait la curiosité de son chef, ce qu’il devait éviter.

— Non, fit-il ; mais j’ai entendu dire que les Montagnes Rocheuses étaient aussi appelées Montagnes Brillantes, parce que, sous les feux du soleil, le quartz brille, et celles dont nous apercevons le sommet dans le lointain ne brillent pas du tout.

— Tu as dit vrai, avoua Joseph. Ce que nous voyons là-bas est la cime des monts Vermillons, et le chef sauvage qui nous a visités à Paskoyac en avait parlé à M. de Niverville.

— Là-dessus, on se disposa à la halte de la nuit.

Le lendemain on partit de bonne heure. On avait hâte d’atteindre les montagnes entrevues la veille. De leur sommet on pourrait observer la nature du pays à plusieurs milles à la ronde. On pourrait aussi s’assurer s’il y avait des villages indiens en avant.

Mais on avait beau nager ferme, on n’arrivait jamais, et les montagnes semblaient presque toujours aussi éloignées.

Au milieu du jour, de Noyelles dit à son ami :

— Dis donc ! nous n’avançons pas ! Est-ce que ces monts sont ensorcelés et reculent devant nous ?… Voyons, qu’y a-t-il ?

— Mon cher, prends patience, dit Joseph, en riant. Nous coucherons près des montagnes rouges ce soir ; ne sais-tu pas que l’œil exercé ne peut mesurer avec justesse l’espace qui le sépare de tel ou tel point dans ces vastes étendues ?

Parfois un éclair de joie brillait dans l’œil libre de Brossard, mais il faisait bien attention qu’on ne le vit pas.

Il allait enfin mettre son projet à exécution et tenter de s’emparer de l’objet si ardemment convoité.

Bientôt la nuit couvre la nature de son manteau sombre. De la Vérendrie place ses sentinelles autour du camp, au nombre de trois, et les sept autres hommes, sur un lit fait de branches de sapin, vont chercher dans un sommeil un repos réparateur qui leur donnera, pour les fatigues du jour suivant, de nouvelles forces.

Deux de ces derniers, avant de dormir, veulent fumer une pipe de tabac, mais la journée a été trop dure, la fatigue est trop grande, et leurs yeux s’appesantissent.

— Couchons-nous, disent-ils ; cela vaudra mieux que de fumer.

Les sentinelles aussi sont lassées, et c’est avec peine qu’elles combattent le dieu Morphée, les invitant instamment à imiter leurs compagnons qui reposent si bien près d’eux.

Elles envient leur sort.

— Allons ! patience, et bientôt nous serons remplacées, se disent-elles mentalement.

Mais le sommeil se fait sentir plus impérieusement.

Et les trois hommes chargés de veiller à la sécurité du camp, se cachant les uns des autres, s’appuient chacun contre un gros arbre, et… s’endorment aussitôt.

Le feu du camp diminue graduellement.

Les ombres de la nuit, se font plus épaisses ; on ne distingue que vaguement les soldats.

Le feu est presque éteint : c’est alors que l’un des dormeurs se soulève lentement de sa couche et va raviver le foyer mourant.

Ensuite, se glissant doucement vers les gens endormis, il les pousse légèrement d’abord, puis les secoue rudement et les appelle par leurs noms : mais personne ne répond.

Tous dorment profondément.

Le foyer se ranimant, jette sa clarté renaissante sur cette scène nocturne et permet de reconnaître l’homme dont le sommeil a fui les paupières, tandis que ses confrères ont comme du plomb dans la tête et les membres.

C’est Brossard dont un sourire de triomphe fait naître sur ses lèvres un rictus effrayant.

M. de la Vérendrie est enfin à sa merci ! Il va pouvoir le fouiller et lui enlever l’amulette ! Il en connaîtra le mystère ! Après, il saura bien la cacher et l’on ne pourra jamais soupçonner qui est le voleur.

Il jouit de son succès et le savoure.

— Dormez, mes chers amis, leur dit-il. Vous avez travaillé fort, ce dernier jour : vous méritez de bien reposer.

Et il ricanait en continuant :

— Mes gars ! vous avez trop mangé ce soir ! cela appesantit la tête quand on prend un trop copieux repas à la fin du jour, et…