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porte de la hutte s’ouvrit ; un chef sauvage entra, promenant ses regards sur chacun des prisonniers. Il vit aux vêtements de Joseph et de Pierre que ces deux-là étaient d’un rang supérieur, et il leur parla, mais Joseph qui ne connaissait que quelques idiomes de l’ouest ne comprit pas les paroles du chef. Il branla la tête et souleva les épaules pour signifier qu’il n’entendait rien de ce qu’il lui disait.

Le sauvage employa un autre langage, celui des Mandanes, que Joseph connaissait bien.

Il lui fut donc facile de répondre.

Il apprit qu’ils étaient au pouvoir de la vaillante nation des Kinongé-Ouilini.

De la Vérendrie en éprouva un serrement de cœur. Les Kinongé-Ouilini avaient la réputation d’être féroces, cruels et sanguinaires.

— Quel est votre intention à notre égard ? demanda-t-il.

— Vous l’apprendrez aujourd’hui, dit le chef, en se retirant.

La séance au conseil n’avait pas été longue ni orageuse. D’un commun accord il fut décidé que les étrangers périraient. Si on les laissaient vivre et continuer leur chemin, plus tard, ne reviendraient-ils pas plus puissants ? Il valait mieux les anéantir à présent ; n’avoir rien à craindre de ce côté.

Telles étaient les idées des sauvages.

Les blancs devaient donc mourir.

Quand les rayons du soleil furent un peu moins ardents, c’est à dire vers les trois heures de l’après-midi, ces Kinongé-Ouilini vinrent chercher leurs captifs pour les amener sur leur place publique ; large carré de terrain qu’entourait la cabane du conseil et les ouigouames des chefs de la bourgade.

Presque tous les sauvages étaient réunis là, attendant les Français, avec lesquels on avait songé à s’amuser, avant de les tuer.

Chaque fois que des guerriers amènent des prisonniers à leur village, ils ont l’usage de les faire passer par les baguettes avant d’entrer dans l’enceinte palissadée de la bourgade.

Comme les blancs pour une cause connue, n’étaient pas en état de passer par les baguettes à leur arrivée, on avait remis à quelques heures plus tard cette cérémonie.

Les sauvages ont dû apprendre ce jeu des matelots : car dans la marine la peine de la bouline est très ancienne, et ressemble assez au jeu des baguettes pour être la même chose sous deux différents noms. Dans la marine, ce châtiment était infligé pour vol d’une valeur de moins de cinquante livres ; absence au poste dans un combat par poltronnerie, ou autre délits. Pas plus de trente marins armés de garcette ne pouvaient former la haie double à travers laquelle le coupable passait. Au passage les coups pleuvaient. Franchir cette haie une fois s’appelait une course, et trois courses étaient le plus que l’on put infliger à un homme, d’une même haleine. Cette peine de la bouline a été abolie en 1848.

Les guerriers indiens étaient disposés en deux longues rangées, laissant entre eux un vide où devait s’engager la personne à torturer. Chaque peau-rouge tenait en mains une hart ou deux avec lesquelles il fouettait l’air. Les sifflements que produisaient ces harts les ravissaient, et ils attendaient joyeux le passage de la victime.

Brossard fut choisi le premier pour satisfaire à l’amusement barbare de la tribu. On le dépouilla de ses vêtements, puis on le poussa entre les deux haies terribles.

Aussitôt les branches d’osier, souples et flexibles, s’abattirent sur ses épaules, sur son corps, laissant des traces livides de leurs caresses brûlantes.

Brossard hurlant de douleur voulut biaiser à travers les rangs des Kinongé-Ouilini, mais ils le repoussèrent et frappèrent plus fort. Alors, il se lança à tête perdue dans la haie, faisant mille gambades et sauts de côté pour éviter les coups. Et les sauvages riaient de le voir tant se démener ! Il y en avait qui en pleuraient de rire, ma foi !

Beaucoup demandèrent de le faire passer de nouveau, il était si amusant, mais le maître de cérémonie, le chef qui avait visité les prisonniers dans la hutte, déclara que les visages pâles auraient chacun leur tour, qu’ils en verraient probablement de plus comiques que le premier.

De Noyelles était furieux.

— Ah ! les bandits !… les démons ! disait-il ; si j’ai jamais la chance de leur retourner le compliment, ils n’y perdront pas !

De la Vérendrie, calme au milieu de la scène, attendait héroïquement le bon plaisir de la meute humaine.

Un des soldats eut la seconde place. C’était un brave celui-là, qui avait frisé la mort de près bien souvent, quand il avait fait la traite, qu’il chassait le bison et l’ours dans les vastes régions de l’ouest. Le visage impassible, il vint aux rangées des Kinongé--