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L’OUBLIÉ

doute l’auteur n’a pas osé mêler trop de fantaisie à ses récits, c’est qu’elle a voulu avant tout ne pas trop dépasser les données de l’histoire qui sont, en somme, très courtes et très sommaires sur le compte de Lambert Closse ; c’est que, sans doute aussi, elle n’a pas osé pénétrer beaucoup plus outre que l’annaliste lui-même, auquel elle emprunte le thème de son livre, dans les multiples manifestations de la vie coloniale que l’on devait mener à Villemarie vers 1650. Laure Conan semble avoir eu sous les yeux, tout le temps qu’elle a écrit son roman, cette boutade de Diderot qui n’aimait pas les romans historiques, et qui les dénonçait comme appartenant à un genre faux : « Vous trompez l’ignorant, vous dégoûtez l’homme instruit, vous gâtez l’histoire par la fiction et la fiction par l’histoire ». Laure Conan a éprouvé elle-même tous les inconvénients que présente le roman historique : il n’y a pas assez d’histoire dans son livre et pas assez de fiction ; elle a craint, à tort, croyons-nous, de mêler dans une large et puissante mesure ces deux éléments essentiels de son roman ; elle a fait une nouvelle un peu fluide ; elle n’a pas tissé de façon assez serrée et assez solide la trame de cette œuvre ; elle n’a pas lancé son héros dans des aventures ou des actions suffisamment multipliées ou nourries ; et comme son tempérament de femme l’inclinait plutôt vers cette nature très tendre qu’est Elisabeth Moyen, elle s’est plu à raconter cette nature, et à faire de cette jeune fille le centre principal — car nous ne sommes pas très sûr qu’il n’y ait pas plusieurs centres dans L’Oublié — de son roman.

Il ne faut donc pas craindre, quand on veut par le roman faire connaître l’histoire, de tailler largement ses tableaux dans la réalité et dans la fantaisie, et d’intriguer fortement son récit. Ici, comme dans la tragédie ou le drame, l’auteur n’est tenu qu’à une seule chose, à respecter la couleur locale, à donner au lecteur le sentiment juste du passé, l’illusion véritable de la vie historique.