et des mœurs, des vertus et des actions obscures d’un chacun. Au lieu que dans l’épopée classique, ce sont les rois et les princes, les chefs d’armées ou les preux chevaliers qui remplissent tout le poème de la majesté de leurs noms, du bruit de leurs querelles et du cliquetis de leurs armes, ici c’est l’homme du peuple, c’est l’habitant canadien, c’est le seigneur de village ou le jeune lieutenant qui agitent à chaque page leur modeste mais vive et originale silhouette. C’est l’épopée des humbles que veut écrire l’auteur des Anciens Canadiens, et je ne sais quel souffle démocratique et populaire passe et circule à travers les pages de cette œuvre. M. de Gaspé nous invite lui-même à bien voir dans son livre une image réelle et authentique de la société de nos gens d’autrefois. Il affirme que tout ce qu’il rapporte des mœurs anciennes est véridique, et il commente par des notes abondantes et toutes personnelles qu’il ajoute à son roman, tels détails ou telles assertions qui pourraient paraître fantaisistes. Et ce n’est pas l’un des moindres plaisirs du lecteur que celui de se sentir tout d’abord en pleine vie réelle, et de pouvoir se reposer toujours avec sérénité sur la bonne foi et la véracité de l’auteur.
C’est, au premier plan, le tableau de la vie du seigneur et de l’habitant canadiens que dessine et peint M. de Gaspé. Or, la vie seigneuriale qu’il reconstitue n’est pas autre que celle que l’on faisait au manoir de son père à Saint-Jean-Port-Joli. Le manoir des d’Haberville, c’est, en effet, celui des de Gaspé, et c’est donc dans la maison même où fut élevé et où a grandi l’auteur, c’est au foyer où on l’initia aux vertus patriarcales de sa famille qu’il nous introduit. Autour du manoir, M. de Gaspé groupe les braves censitaires ; et c’est la cordialité des relations mutuelles, l’affabilité du seigneur, le respect et le dévouement des bonnes gens, c’est par-dessus tout, l’es-