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AU LARGE DE L’ÉCUEIL

moi, quelqu’un !… » Et à cette heure, elle éprouve tout le vide de la libre pensée, et toute l’impuissance du Dieu-Matière. La bonne souffrance amène donc la prière à ses lèvres. Elle crie son espoir vers le Dieu de Jules et de Jeanne. Celle-ci lui propose le pèlerinage à Sainte-Anne. Marguerite accepte ; elle ira demander à la grande thaumaturge sa guérison. Jeanne l’accompagne au sanctuaire de Beaupré. Sainte Anne guérit l’aveugle…

Gilbert Delorme, qui a fait une scène disgracieuse et maladroite à sa fille, au pied même de la statue de sainte Anne, comprend enfin que cette fille, qu’il a si soigneusement endoctrinée, qu’il a modelée sur ses pensées, dont il a fait le produit le plus raffiné de l’athéisme, échappe à l’emprise de son autorité. Leur vie commune est brisée. Sans colère contre une religion qui a maintenant conquis sa fille, il ira par le monde répandre encore sa philosophie antireligieuse, et Marguerite restera à Québec, où la retiendront désormais et sa foi et son amour. Demain, sans doute, elle épousera Jules Hébert.

On a reproché à M. Hector Bernier ce dénouement où paraît le merveilleux. D’ordinaire, on n’aime pas voir en conclusion de roman le Deus ex machina des tragédies d’Euripide. Cependant, il n’y a rien que de vraisemblable dans cette conversion, et dans cette guérison miraculeuse qui achèvent en Marguerite Delorme l’acte de foi. Le chapitre que l’auteur, au début de son livre, a consacré à la visite de Sainte-Anne de Beaupré, prépare le lecteur à ce dénouement. Le pèlerinage de la libre penseuse touriste, et celui de la souffrante désabusée, qui se réfugie en la puissance du surnaturel, sont tous deux des actes de vie humaine et canadienne. Ils sont bien deux incidents, deux épisodes qui achèvent de peindre la vie religieuse à Québec.