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ROMANCIERS DE CHEZ NOUS

pas une ombre, une lettre » avait d’abord écrit Gabrielle. Mais elle s’éprit bien vite de l’âme très, belle qui transparaissait dans cette ombre, et du jeune et sympathique invisible qui dictait la lettre. Et Gérard lui-même, qui ne voulait qu’amuser son cœur et jouer à distance avec une flamme légère, éprouva bientôt quelle chaleur se pouvait dégager de cette flamme, prit un malin plaisir à alimenter de brûlantes missives l’amour qui à Bayonne grandissait.

Cependant une jeune dactylographe, secrétaire de Gérard, écrivait sous sa dictée les lettres dangereuses… Alice Bernard sage pourtant, et discrète, mais sensible, et qui admirait le talent de Gérard, et qui était fière de s’employer à transcrire ses pensées, se laissa prendre au marivaudage des deux amoureux ; elle conçut bientôt pour son jeune patron un sentiment de tendresse qu’elle dissimulait par la plus délicate réserve. Comme elle souffrait de transcrire pour l’autre, à Bayonne, des mots qu’elle aurait voulu entendre pour elle-même ! À Gérard qui lui demandait volontiers conseil, elle osa dire qu’il est cruel d’allumer des flammes inutiles, et de faire souffrir même à distance, des cœurs blessés. Sous le conseil raisonnable, Gérard qui inclinait déjà vers l’irréprochable dactylo, aperçut un jour l’émotion qui trahit l’amour. Il pouvait donc être vraiment aimé ! Et il aima à son tour la beauté discrète et pure qui tout près de lui s’offrait à sa vie.

Mais comment se dégager des liens que lui a forgés une longue correspondance, et de l’affection à la fois imaginaire et réelle qui le retient à Bayonne ? Il éprouvait pour cette jeune fille de là-bas une sympathie qui se mêlait de tendresse et de pitié. Il s’était trop amusé avec cette flamme et avec ce cœur lointain, pour être brutalement infidèle. Gabrielle n’a pas voulu croire à sa laideur. Il ira la lui montrer. Il ira briser le charme, dissiper le mirage, et il reprendra ensuite sa liberté…

Gérard s’embarque avec sa mère pour la France. Il laisse à Paris madame Sauret, et file sur Bayonne. Vingt fois sur le train qui l’emporte vers les Pyrénées, il se