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ROMANCIERS DE CHEZ NOUS

Arché, qui a rapporté des montagnes de l’Écosse, toute la mélancolie des gens du Nord et aussi tous les deuils qui ont assombri ses années d’enfance, oppose à la mobilité toujours active de Jules la tranquillité sereine et presque froide d’une âme qui toujours s’observe et se réserve. Il s’étonne, au collège, des taquineries dont Jules le poursuit, et il ne songe pas à s’en venger, parce qu’il est le plus fort. Au reste, il est philosophe ; il s’applique à raisonner les choses, et sa méditation se change parfois en un rêve bleu de vague et langoureuse poésie. Jules se moque de la lune, quand il la voit balancer au ciel sa lampe mobile, et projeter sur la route de Saint-Thomas sa blanche lumière ; il se souvient alors qu’au dortoir du collège un rayon de lune sur les couchettes des pensionnaires n’avait pas d’autre effet que celui de lui faire regretter sa liberté perdue. Arché, au contraire, fait monter vers l’astre « à la triple essence » l’hymne de sa dévote tendresse, et il admire cette Diane qui parcourt en reine paisible, dans le silence d’une belle nuit, les régions éthérées du ciel.[1]

Au reste, Arché, comme tous les écoliers graves et un peu pédants, aime beaucoup à étaler ses souvenirs classiques, et il cite avec abondance ses meilleurs auteurs ; les sentences latines n’ont rien qui l’effraient, et souvent elles échappent à ses doctes lèvres, au risque de provoquer chez Jules quelque légère indignation. Et quand les deux jeunes gens ne peuvent s’entendre, et que la frivolité de Jules exaspère la gravité d’Arché, celui-ci se contente de dire avec toute l’autorité de son imperturbable sang-froid : « Oh ! Français ! légers Français ! aveugles de Français ! il n’est pas surprenant que les Anglais se jouent de vous, par-dessous la jambe, en politique ! »[2]

L’amitié d’Arché n’en est pour cela ni moins délicate, ni moins profonde. Son âme s’est attachée à l’âme de

  1. Cf. pages 60-61.
  2. Cf. page 51.