Page:Roy - Romanciers de chez nous, 1935.djvu/42

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
47
LES ANCIENS CANADIENS

sacrifié les traditions et la langue des ancêtres. L’auteur des Anciens Canadiens, que, d’ailleurs, des relations étroites avaient, dès son enfance, mis en contact avec l’aristocratie anglaise de Québec,[1] ne pouvait plus mal choisir, parmi les personnages de son roman, celui qui serait chargé de donner aux lecteurs, en manière d’épilogue, cette leçon d’anglomanie. C’est le chevalier des Plaines d’Abraham qui désarme tout à fait et accroche au mur d’un foyer, où va régner l’Anglaise, la panoplie de son trophée ! C’est le Roland des légendes allemandes qui oublie, semble-t-il, aux pieds d’une femme, le motif et l’héroïsme de sa vie.

Il est donc possible, et nous croyons qu’il est certain, que M. de Gaspé a poussé trop loin dans son roman ce sentiment de résignation nationale auquel il a fallu obéir après la conquête, mais auquel M. d’Haberville a lui-même et d’abord si longtemps résisté. Et si l’historien avait le droit de traduire dans son livre cette sorte de satisfaction que nous éprouvons d’avoir, par le fait de la conquête, échappé à tant de mesquines persécutions religieuses qui ont affligé et qui affligent encore la France, le romancier n’avait pas, lui, le droit de pousser jusqu’à cette extrême limite le sacrifice de toutes nos traditions, de toute notre vie à la cause britannique, et il avait plutôt le devoir d’enseigner à ses compatriotes comment les races conquises ne meurent pas, et de tracer à la fin de son œuvre, et d’indiquer sommairement aux romanciers futurs le canevas ou le thème des Oberlés canadiens.

Le patriotisme de M. de Gaspé, que montrent et définissent les Anciens Canadiens, est donc assez complexe : il est surtout fait de sentiments très fervents pour l’honneur et les traditions de sa race, d’ironie mordante pour

  1. On sait que la mère de M. de Gaspé, Catherine Tarieu de Lanaudière, était amie intime de Lady Dorchester. Les deux filles de Lady Dorchester passaient souvent une partie de l’été au manoir de Saint-Jean-Port-Joli. On peut consulter, à ce sujet, la Biographie de M. de Gaspé, écrite par l’abbé Casgrain, dans Œuvres Complètes, de l’abbé Casgrain, II, 273.