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LES ANCIENS CANADIENS

pour le lecteur l’illusion de la réalité, et c’est bien en pleine réalité que nous transportent des causeries comme celles du souper que l’on prend chez un seigneur canadien, M. de Beaumont,[1] ou bien encore les propos si vifs et si spontanés du père José.

Il convient, pourtant, d’observer ici que les dialogues de M. de Gaspé ne sont pas toujours aussi alertes, aussi coupés et primesautiers qu’ils pourraient l’être quelquefois. Il arrive que le dialogue tourne au discours et que les conversations se transforment en trop longs monologues. Au reste, il semble que le talent de M. de Gaspé, qui est bien celui d’un conteur, est aussi très oratoire. Et cette tendance le fait souvent exprimer sous forme de harangues éloquentes même les pensées solitaires de ses personnages. C’est ainsi qu’Arché, qui a été condamné à mettre le feu au manoir des d’Haberville, et qui souffre donc malgré lui toutes les tortures du remords, monte tantôt sur une colline, et tantôt sur un cap pour exhaler en de violentes philippiques dirigées contre Montgomery, ou contre la civilisation, ou contre lui-même, sa douleur et sa colère. « Alors, il s’écria… Voilà donc, s’écria-t-il… » Et, en vérité, il est peu naturel qu’un soldat, fût-il lieutenant, qui est seul à dévorer son chagrin, et qui n’a pour auditeurs que les oiseaux des bois ou les étoiles de la nuit, se livre longtemps à cette factice déclamation. Il suffisait, d’ailleurs, de donner à ces mêmes idées et à ces mêmes sentiments qui bouleversent inévitablement l’âme d’Arché, la forme de méditations ou de réflexions que l’auteur aurait pu traduire en une langue chaude et ardente.

Au surplus, M. de Gaspé a, plus d’une fois, imaginé des occasions très opportunes de s’abandonner au courant de sa passion oratoire. Il faut le louer de certaines pages éloquentes où son patriotisme s’est exprimé. S’il y a là quelques tirades où la rhétorique se complaît outre

  1. Cf. chap. VI.