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JEAN RIVARD

pas un roman sentimental, ni surtout un roman d’aventure ; encore pourtant que l’expédition forestière de Jean Rivard, si hardie et si vraisemblable, soit, malgré tout, une sorte d’aventure, et la plus intéressante qui puisse retenir l’attention de nos défricheurs.

Jean Rivard est fils de cultivateurs. Gérin-Lajoie le fait naître vers l’an 1824, à Grandpré, dans une campagne fertile des bords du lac Saint-Pierre. Il est l’aîné de douze enfants, et, comme il paraît bien doué, son père le met au collège. Jean fait un bon cours d’études ; il ne brille pas au premier rang, mais il est studieux et il s’avance d’un pas ferme jusqu’en rhétorique. Il aurait été sans doute un excellent philosophe, et il escomptait déjà les succès des nouvelles études où son esprit positif devait triompher, quand au cours de la rhétorique il perdit son père ; et cet événement vint déranger toute l’économie domestique de la famille Rivard.

Jean ne recevait pour tout héritage que la somme de cinquante louis, et si cela pouvait suffire pour l’aider à finir ses études classiques, il n’en avait pas assez pour payer ensuite les frais de sa cléricature. Il lui restait bien aussi du grec et du latin, mais ce bagage philologique et littéraire ne lui assurait alors aucun moyen de subsistance. Il résolut donc de ne pas retourner au collège, et sur le conseil de son curé, homme prudent et très expérimenté, il décida de se donner à l’agriculture. Il pourrait ainsi plus vite aider sa famille, et il ne risquerait pas d’aller se perdre dans la foule des jeunes gens déclassés qu’attire et que dévore la ville.

Seulement, Jean Rivard n’a que cinquante louis ; il ne peut songer, avec une aussi petite somme, à devenir propriétaire d’une ferme dans les vieilles paroisses qui bordent le fleuve. C’est une terre en bois debout qu’il lui faut acheter et exploiter. Il devra se faire colon.