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JEAN RIVARD

Le lendemain de leur arrivée, le 16 octobre, les deux bûcherons commencent leur œuvre. La forêt retentit des coups de hache vigoureux qui frappent les grands arbres ; et le craquement sinistre des colosses qui tombent met en fuite les oiseaux effarés. Le rhétoricien d’hier n’a guère le temps de s’abandonner à la poésie des choses ; ses bras travaillent plus que son imagination ; et il éprouve parfois la fatigue des journées dures et laborieuses. Mais Pierre Gagnon, lui, montre une si belle ardeur à la tâche quotidienne que Jean Rivard s’efforce de faire paraître une énergie toute semblable. Ils abattent cinq arpents de forêt pendant ce premier automne, et dix autres pendant l’hiver : en tout quinze arpents que l’on pourra ensemencer au prochain printemps.

Pendant les longues soirées de ce premier hiver, Jean Rivard fait le journal de sa vie ; il écrit les annales de cet établissement auquel il lui plaît de donner le nom de Louiseville. Ou bien encore, il lit à Pierre Gagnon les Aventures de Don Quichotte, celles de Robinson Crusoé, et une Histoire populaire de Napoléon. Ces lectures sont une récréation pour l’esprit de Jean, et une fête sans pareille pour l’imagination de Pierre Gagnon. Bientôt le brave serviteur éprouve le besoin de faire revivre et de personnifier ces héros. Sans respect pour la chronologie, il s’attribue modestement le rôle de Sancho, et il donne à son maître le titre d’empereur. Tous deux s’arment en guerre, non pas contre des moulins à vent, mais contre la forêt ; leurs coups de hache sont des coups d’épée, et le soir on fait le relevé du nombre des morts, et l’on arrête le plan de campagne du lendemain.

Le dimanche, Jean Rivard fait trêve aux récits et aux actions épiques, et il lit avec son compagnon quelques chapitres de cette Imitation de Jésus-Christ, que Louise lui avait donnée à son départ, et qu’il feuillette avec une piété deux fois ardente.

Avouons que ces paisibles distractions ne réussirent