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ROMANCIERS DE CHEZ NOUS

gant, un fashionable, un dandy, un cavalier dont les plus belles jeunes filles eussent raffolé. »[1]

C’est au sortir du collège que Jean Rivard se présente pour la première fois aux lecteurs. L’étudiant vient d’interrompre, à cause de la mort de son père, laquelle a brisé l’équilibre du budget de famille, ses études de rhétorique. Et Jean Rivard emporte nécessairement du collège des habitudes, des goûts, des tendances qui réapparaîtront souvent à la surface de la vie. On n’a pas impunément dressé son esprit à la méditation et aux rêves enthousiastes d’une studieuse adolescence ; on n’a pas, sans qu’il en reste quelque chose, feuilleté Virgile et Homère, traduit Démosthène ou César, crayonné des levers de soleil, ou esquissé des gestes d’éloquence ; on n’a pas, sans qu’il s’en imprime sur la vie une trace ineffaçable, courbé longtemps son front sur les livres, et souhaité pour un long avenir les joies nobles du labeur intellectuel. Et donc, Jean Rivard emportera dans la forêt de Bristol, mêlée aux prosaïques ambitions du colon, la délicate sensibilité de l’étudiant. Il y sera tout à la fois capable de rude travail, et capable de rêveries sentimentales. Ces deux activités s’exerceront parfois en sens contraire, et provoqueront dans l’existence de Jean Rivard les plus pénibles conflits. Et ce ne sera pas le spectacle le moins instructif du roman, que celui d’un jeune homme, exilé volontaire dans la forêt inhabitée, luttant contre ses propres ennuis, contre tous ses dégoûts du moment, pour rester fidèle à lui-même, et pour fixer dans le sacrifice l’inconstance de ses vingt ans.

Au surplus, Jean Rivard, à cause même de sa sensibilité affinée au contact des livres et par toutes les émotions de la vie du collège, goûtera plus que ne le font d’ordinaire les colons, ce qu’il y a de beauté, de grandeur et de poésie dans la vie des forestiers. Gérin-Lajoie nous en avertit lui-même : son héros « avait une âme

  1. Cf. Jean Rivard, I, 2.