avocat, médecin, notaire ou prêtre. Déjà, d’ailleurs, l’on se plaignait que les professions libérales fussent encombrées, et il n’était donc pas inutile de mettre sous les yeux du lecteur de ce temps, de faire se mouvoir sous leurs regards, le personnage inquiet, désenchanté, morfondu, d’un raté. La thèse de Jean Rivard ne pouvait que s’en trouver singulièrement fortifiée. Et Gérin-Lajoie avait assez d’humilité pour prêter quelque chose de sa propre vie à cette cruelle démonstration.
Au surplus, Gustave Charmenil comprit lui-même l’erreur de sa jeunesse. Ses journées vides et affamées, ses bottes trouées et ses pantalons râpés l’avertissaient assez qu’il n’était dans la société qu’un être inutile, encombrant, déclassé. N’y eût-il pas jusqu’à ses amours rentrées ou méconnues qui firent son destin plus lamentable ? Il n’osait aimer, parce qu’il était trop pauvre. « S’il se fût contenté de l’amour et du bonheur dans une chaumière, »[1] il eût été bien vite aussi heureux que Jean Rivard ; mais il voulut goûter à la vie urbaine, chercher dans les salons mondains la jeune fille de ses rêves, et il fut condamné à rêver toujours, à vieillir dans l’isolement. Il s’en plaignait à son ami, et il était bien près d’estimer beaucoup maintenant la carrière du colon pour la stabilité qu’elle donne à la vie, et de l’apprécier dans la mesure même où elle procure des mariages hâtifs.[2]
Et, c’est ainsi que Gérin-Lajoie a fait de la profession de l’agriculteur le plus bel éloge, non pas seulement par le tableau très persuasif des prospérités de Jean Rivard, mais encore par le récit vraisemblable des déboires de Gustave Charmenil. Et c’est sur les lèvres de ce jeune désabusé qu’il a placé ce couplet où il semble qu’il ait résumé toute sa thèse et toute son ambition : « Ô heureux, mille fois heureux le fils du laboureur qui, satisfait du peu que la Providence lui a départi, s’efforce de l’accroître par son travail et son industrie, se marie, se