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LE MANOIR LATERRIÈRE AUX ÉBOULEMENTS



E N 1870, M. l’abbé H.-R. Casgrain faisait la description suivante du manoir des Éboulements :

« Le manoir de Sales, où l’on arrive par une majestueuse avenue, est encadré de grands arbres, et tapissé, jusqu’au toit, de plantes grimpantes du plus gracieux effet. Il se compose d’un vaste corps de logis, flanqué de deux pavillons : ses murailles épaisses et solides, comme savaient en construire nos pères, semblent destinées aux bastions d’une forteresse. En face du portique s’étend un vaste et beau jardin, soigneusement cultivé ; en arrière, un profond ravin où coule une petite rivière qui alimente le moulin seigneurial, située à deux pas, sur la gauche, au pied du coteau. L’écluse forme un joli étang que traverse le pontet : ce petit lac, où l’on voit sauter la truite en abondance, est ombragé de bouquets d’aulnes et de jeunes bouleaux. La vue s’étend, au delà, sur une vallée cultivée, qui s’élève en pente douce jusqu’au pied des montagnes.

« À l’un des angles du jardin, sur le bord d’un précipice, au fond duquel tombe, en murmurant, une blanche cascade, s’élève une petite chapelle à demi cachée au milieu d’un massif de verdure. Ce pieux monument, dédié à la Sainte Vierge, doit son origine à un incident triste mais consolant.

« Un jour, l’aîné des fils de M. de Laterrière prit fantaisie de tirer un vieux canon français depuis longtemps abandonné. L’arme, chargée imprudemment, éclata en pièces, et un énorme fragment vint frapper le malheureux jeune homme au côté, en lui déchirant les entrailles. Il ne survécut que vingt-quatre heures à cette horrible blessure ; mais aidé des prières de sa mère, il se prépara à la mort avec des sentiments de piété et de résignation si édifiants, il expira avec des marques si consolantes de prédestination, que sa pauvre mère, en souvenir de reconnaissance, fit bâtir cette chapelle en l’honneur de Celle qu’elle avait tant priée et qui l’avait exaucée. C’est ici, sur ce prie-Dieu, devant cet autel d’où la statue de Marie lui tend les bras, qu’elle vient, chaque jour, s’agenouiller, et prier pour ce cher enfant et les autres bien-aimés qui sont partis. Oh ! oui, priez, mère pieuse, c’est la foi qui vous a consolée, qui vous a empêchée de succomber sous le poids de la douleur. Priez encore, priez toujours : quand vous avez ainsi prié, n’avez-vous pas senti comme une présence invisible ? C’était l’ange de votre enfant qui venait vous remercier pour lui, vous baiser au front, et soulever de ses ailes le fardeau qui vous écrasait.