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118 HISTOIRE DE LA POMME DE TERRE

fond, désire bonne terre, bien fumée, plus légère que poisante : l’aer modéré. Veut estre semé au large, comme de trois en trois, ou de quatre en quatre pieds de distance l’un de l’autre, pour donner place à ses branches de s’accroistre, et de les provigner[1]. De chacun cartoufle sort un tige, faisant plusieurs branches, s’eslevans jusqu’à cinq ou six pieds, si elles n’en sont retenues par provigner. Mais pour le bien du fruict, l’on provigne le tige avec toutes ses branches, dès qu’elles ont attaint la hauteur d’un couple de pieds ; d’icelles en faissant ressortir à l’aer, quelques doigts, pour là continuer leur ject ; et icelui reprovigner, à toutes les fois qu’il s’en rend capable, continuant cela jusques au mois d’Aoust : auquel temps les jettons cessent de croistre en florissant, faisans des fleurs blanches[2], toutes-fois, de nulle valeur. Le fruict naist quand-et les jettons à la fourcheure des nœuds, ainsi que glands de chesne. Il s’engrossit et meurit dans terre, d’où l’on le retire en ressortant les branches provignées, sur la fin du mois de Septembre, lors estant parvenu en parfaicte maturité. L’on le conserve tout l’hyver parmi du sablon deslié en cave tempérée ; moyennant que ce soit hors du pouvoir des rats, car ils sont si friands de telle viande[3], qu’y pouvans attaindre, la mangent toute dans peu de temps. Aucuns ne prennent la peine de provigner ceste plante, ains la laissent croistre et fructifier à volonté, cueillans le fruict en sa saison : mais le fruict ne se prépare si bien à l’aer, que dans terre, en cela se conformant aux vraies truffes, auxquelles les cartoufles ressemblent en figure ; non si bien en couleur, qu’elles ont plus claire que les truffes : l’escorce non rabouteuse, ains lice et desliée. Voilà en quoi tels fruicts diffèrent l’un de l’autre. Quant au goust, le cuisinier les appareille de telle sorte, que peu de diversité y recognoist-on de l’un à l’autre. »

Dans l’édition du Théâtre d’Agriculture, publié en 1805 par la Société d’Agriculture du Département de la Seine, et qui est accompagnée de très nombreuses notes explicatives, le texte ci-


  1. — Nous avons vu aussi que, d’après G. Bauhin, le provignage des tiges de la Pomme de terre était en usage dans la Franche-Comté, à cette époque.
  2. — On remarquera qu’il est question de fleurs blanches. Ce devait être une variation obtenue par semis de la variété primitive, qui avait les fleurs violacées.
  3. — Au XVIe siècle, le mot viande était employé dans le sens général de nourriture.