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les plantes. L’eau des rivières est très-bonne. Je ne sais trop ce qu’on entend par ce mot eau crue, si souvent employé par les jardiniers, & qui ne signifie rien ; car plus l’eau est réduite à ses propres principes, plus elle est pure comme eau. C’est un abus de mot, ou une expression appliquée mal à propos, & j’ai toujours vu que cette eau crue étoit ou séléniteuse, ou sortoit d’une source dont le degré de chaleur n’excédoit pas dix à onze degrés ; alors n’y ayant point de proportion entre sa chaleur & celle de l’atmosphère, de la terre, de la plante, &c. on l’a appelée crue.

Je ne veux pas dire que l’eau grasse, que l’eau savonneuse, &c. soient préjudiciables à l’arrosement. Ceci demande une explication. Si avec cette eau on arrose les feuilles & les tiges de la plante, elle nuira, parce qu’elle bouche leurs pores. Prenez de l’huile ou une eau très-grasse ; imbibez les feuilles, les tiges mêmes d’un arbrisseau naturellement plus robuste qu’une plante potagère ; l’arbrisseau languira, les feuilles s’inclineront, & il ne tardera pas à périr. Cette eau, au contraire, & en petite quantité, répandue sur la terre, sert de base à la combinaison savonneuse, presque le seul aliment des plantes, ou au moins le seul qu’elles pompent par leurs racines.

Une mare, des fosses, des citernes, &c. au fond desquelles on aura jeté quelques brouettées de fumier, corrigeront cette prétendue crudité des eaux, sur-tout si ces eaux restent pendant un tems convenable exposées au soleil, & c’est le grand point.

Quelques amateurs croient faire merveille en ajoutant du sel quelconque à l’eau destinée pour les arrosemens. Si ce sel est en petite quantité, il s’unira avec les principes graisseux & huileux renfermés dans la terre, & formeront ensemble le principe savonneux ; si le sel surabonde & n’est plus en proportion avec les substances graisseuses, &c. il brûlera, corrodera les plantes. C’est par cette raison que l’eau de mer fait périr les plantes qu’elle arrose, excepté celles dont la conformation permet de germer, de végéter & de fructifier dans cette eau. Une seconde expérience va confirmer ce que j’avance ; c’est le jardinier de milord Robin Manner qui parle. « L’été étant très-sec, je marquai avec de petits pieux quatre morceaux de terre dans les endroits d’un pâturage que les bestiaux avoient abandonné faute d’herbe. J’arrosai neuf soirées consécutives ces quatre morceaux de terre ; le premier avec deux pintes d’eau de source, sans mélange ; j’employai pour le second la même quantité d’eau, à laquelle j’ajoutai une once de sel commun : au troisième je donnai la même quantité d’eau, à laquelle je joignis le double de sel, & pour le quatrième morceau de terre, j’employai le triple de sel sur la même quantité d’eau. L’herbe vint en plus grande quantité & d’un verd plus foncé sur le second morceau, que sur le premier. Les touffes d’herbe, sur le troisième, étoient dispersées çà & là, & les endroits où j’avois prodigué l’eau étoient tout-à-fait stériles. Le quatrième morceau étoit généralement plus brûlé & plus stérile que le troisième.