Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1782, tome 2.djvu/613

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

carpe pesoit huit onces deux gros, ce qui fait quatre mille sept cens cinquante-deux grains. Or, multipliant ces quatre mille sept cens cinquante-deux grains par soixante-douze, on trouve que cette carpe avoit trois cens quarante-deux mille cent quarante-quatre œufs ».

Cette fécondité est dans l’ordre de la nature, qui multiplie les animaux en raison du nombre de ceux à qui ils doivent servir de nourriture. Si actuellement on met en ligne de compte la quantité de petits poissons qu’aura dévorés, par exemple, un brochet, avant qu’il ait acquis le poids de six à huit livres, on ne sera pas surpris de cette étonnante fécondité. La mouche sert d’aliment à une infinité d’oiseaux, sur-tout à ceux qui ont le bec allongé. Aussi se multiplie-t-elle à l’excès. Combien ne pourrais-je pas citer de pareils exemples !

Les étangs sont d’un gros produit, lorsqu’ils ne sont pas trop éloignés du lieu de la consommation ; mais comme le poisson meurt dès qu’il est hors de l’eau, on le transporte dans des barriques pleines d’eau, qu’on change d’heure en heure, afin qu’il arrive vivant à la ville. Ce changement d’eau est indispensable, parce que le poisson ainsi accumulé, l’a bientôt viciée au point qu’elle agit sur lui comme l’air fixe (voyez ce mot) sur les animaux qu’on plonge dans ce fluide.

Voici un point de fait qui n’est pas assez connu, & cependant très-intéressant pour le commerce du poisson d’eau douce. La carpe, par exemple, ne meurt pas parce qu’on la sort de l’eau, mais parce qu’étant hors de cet élément, la base de ses deux ouïes se colle contre le corps, elle ne peut plus respirer, & meurt suffoquée. Tout autour de la base & du contour des ouïes, il se forme un mucilage, un gluten, qui réunit intimément l’ouïe au corps de l’animal, & la mastique tellement, qu’elle ne peut plus la soulever pour respirer. En effet, lorsqu’un poisson a été pendant un tems assez considérable hors de l’eau, & qu’il est asphyxique, si on le plonge de nouveau dans une eau très-froide, si on a l’attention de le soutenir dans sa position naturelle, le dos en dessus & le ventre en dessous, on le voit peu à peu faire des efforts pour respirer ; il cherche à soulever ses ouïes. L’eau & ses efforts détachent peu à peu le gluten ; enfin, l’ouïe commence à s’ouvrir un peu, & à laisser un petit passage à l’eau entr’elle & la bouche de l’animal ; enfin elle s’ouvre tout-à-fait, & il respire librement. C’est alors qu’on voit clairement cette substance mucilagineuse ressemblante à de la colle, se détacher peu à peu ; & lorsqu’il n’en reste plus, la carpe est hors de tout danger : c’est un vrai asphyxique (voyez ce mot) que l’on a rendu à la vie.

Si on laisse la carpe couchée sur son plat, sur son côté, elle restera beaucoup plus long-tems avant de donner signe de vie, & souvent on ne parviendra pas à l’y rappeler. J’ai essayé, avant de mettre la carpe asphyxiée dans l’eau, de soulever doucement les ouïes, de détacher le gluten qui les circonscrit, & par conséquent de donner à l’air & à l’eau un passage aussi libre que celui qui étoit établi dans le poisson avant de le sortir de l’eau ; & l’expérience m’a prouvé que cette introduction trop subite & trop abondante d’air & d’eau nuisoit plus qu’elle n’étoit utile. En se