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mémoire ce qu’il est important de connoître ; & j’en ferai ensuite l’application aux avantages que le commerce du poisson en peut retirer.

Le carpeau, dit ce savant, diffère au dehors de la carpe, en ce que, à poids égal, il a le corps en général plus court, la tête plus obtuse, l’os du crâne plus large, le bec, ou partie qui s’étend antérieurement depuis les yeux jusqu’à l’extrémité des mâchoires, moins alongé, les lèvres plus épaisses, plus renflées, ce qui donne à la supérieure, l’air d’une lèvre relevée. Le dos est pareillement plus élargi, plus charnu, & le ventre singuliérement aplati sur les côtés, sur-tout auprès de l’anus, que les pêcheurs, suivant Rondelet, appellent ombilic. C’est cette petite ouverture saillante, qui est placée près de la queue, entre le sillon du ventre.

L’aplatissement du ventre est le signe le plus certain qui caractérise le carpeau : les autres sont moins constans.

Si on examine les parties intérieures, nulle différence dans la couleur des chairs ; l’organisation générale est absolument la même, avec cette seule différence que, de quelque grosseur que soit le carpeau, on ne trouve dans la capacité de l’abdomen, ni œuf, ni laite, ni ordinairement aucuns vestiges de ces parties, dans les endroits qu’elles occupent dans la carpe.

On sait que la laite ou laitance, caractérise la carpe mâle, comme les œufs sont l’attribut de la femelle. La laite & les œufs sont visibles dans les plus jeunes sujets ; ils remplissent un espace considérable dans l’intérieur de l’abdomen. Les œufs, dans la femelle, sont divisés en deux paquets revêtus d’une fine membrane, qui, à droite & à gauche, entoure les intestins & le foie, partant du diaphragme, & se réunissant à l’anus en un seul canal. La laitance est également composée de deux corps blancs, irréguliers, couverts d’une pellicule, remplis d’une substance blanchâtre, liquide ; cette laitance embrasse pareillement des deux côtés, les intestins, depuis le diaphragme jusqu’à l’anus.

Ces parties sexuelles manquent entiérement dans le carpeau, d’où résulte l’aplatissement de son ventre. N’ayant ni laite, ni œuf, doit-il être regardé comme un poisson neutre ? M. Morand a fait voir à l’académie des sciences de Paris, une carpe hermaphrodite. M. de Réaumur fit la même observation sur un brochet, & M. Marchand sur un merlan. Une carpe neutre seroit en effet un monstre par défaut, comme les carpes hermaphrodites sont des monstres par excès.

L’expérience a prouvé à M. de la Tourette, qu’il existe quelquefois des portions de laitance dans le carpeau, mais très-petites, & d’une consistance plus molle que la laite ordinaire. Il suit de-là que cet individu étoit un mâle impuissant, dont la semence ne pouvoit sortir au-dehors.

Un carpeau est donc une carpe vraisemblablement mâle, & privée, en naissant, des parties de la génération, ou née avec quelque défaut dans ces parties, qui les dispose à devenir nulles & à disparoître. Dans tous les animaux, l’impuissance du sujet, sur-tout parmi les mâles, donne lieu à son développement en grosseur ; & cela est respectif. Un embonpoint excessif & trop prompt nuit au pouvoir de procréer.