Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 4.djvu/303

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En 1763, une maladie épizootique fit beaucoup de ravages dans le pays de Brouageais, élection de Marne, généralité de la Rochelle. M. Nicolaw, docteur en médecine, dit que les paroisses où la maladie des bestiaux exerçoit sa fureur, sont situées aux environs d’un terrein bas, de l’étendue de près de trois lieues ; il formoit autrefois une vaste & belle saline où la mer s’introduisoit au moyen d’un canal, nommé le Havre de Brouage, lequel n’existe plus que depuis son embouchure jusque devant la ville de Brouage qui est aussi sur le bord de ce terrein. Le Havre de Brouage s’étant comblé peu à peu, & la mer par conséquent ne fournissant plus ses eaux dans les marais, où on les ramassoit pour faire du sel, le sol est demeuré entrecoupé & inégal, rempli d’enfoncemens qui conservent encore les noms de fars, de conches, de champs, d’aises, &c. qu’ils avoient étant marais salins, & de terres élevées nommées Bosses, qui sont des rejets du fond creusé pour la construction des marais. Des parties de ces enfoncemens, par le laps de temps, se sont comblé imparfaitement ; d’autres existent encore presque dans leur entier ; tous dans les temps pluvieux, sur-tout en hiver, sont garnis par les eaux pluviales, qui n’ayant aucune issue, y croupissent jusqu’à ce que l’air & la chaleur du soleil de l’été les ayent fait évaporer. Les plus profonds qui se dessèchent rarement, forment autant de bourbiers remplis d’herbes aquatiques qui croissent dans une eau boueuse, laquelle sert cependant à abreuver le bétail. Le tout présente une grande prairie grasse & marécageuse qui nourrit les bêtes destinées aux boucheries, aux voitures, & à la culture des biens de campagne du Brouageais. Ce sont ces troupeaux considérables de jumens, de bœufs & de vaches, dont la mortalité excite les regrets, & cause en partie la misère de nos habitans.

Les cloaques dont je viens de parler, répandent bien loin des exhalaisons fades qui infectent l’atmosphère & rendent les habitans, à la fin de l’été, sujets aux fièvres intermittentes, putrides & malignes ; on sent une puanteur dans l’air, qui se manifeste sur-tout dans les beaux jours au lever du soleil.

Cette année les pluies ont été très-abondantes, & presque continuelles durant le printemps & l’été ; la fraîcheur de l’air s’est constamment soutenue. La grande chaleur n’a fait monter la liqueur du thermomètre de Réaumur, exposé dans une chambre donnant sur le nord, qu’aux dix-huitième & dix-neuvième degrés. Nous avons essuyé le trois de juillet un ouragan accompagné de grêle d’une grosseur prodigieuse, qui a détruit dans plusieurs endroits toute la récolte, & endommagé les édifices. La plupart du gros bétail, que la mortalité nous enlève, y fut exposée & l’essuya ; mais les brebis & les cochons qui meurent également, en étoient à l’abri ; d’ailleurs la mortalité avoit commencé avant ce temps.

Les prairies ont fourni cette année un pâturage abondant, arrosé par les eaux pluviales, qui ont même empêché qu’on ne fît la récolte du foin, lequel a péri sans être fauché, ou a pourri après l’avoir été, parce que, d’un côté, la pluie, l’humidité, de la terre, & le défaut de chaleur n’ont pas permis de le faire sécher ;