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des espèces naturelles, mais elles ne constituent pas des espèces jardinières, proprement dites, puisque de semis en semis en terre plus mauvaise, sans engrais, sans arrosemens, elles dégénèrent insensiblement, & sont à la fin à leur premier état de simplicité, de petitesse & de maigreur.

Je crois qu’on devroit diviser en deux ordres les espèces jardinières. Le premier comprendroit les espèces perfectionnées par les simples mains de la nature, & le second, par celles des hommes.

Sur les lisières des bois, des champs, on trouve, par exemple, des merisiers dont le fruit est plus gros que celui de la merise ordinaire, & souvent tous les deux à côté l’un de l’autre. Dans ce cas, les circonstances sont parfaitement égales : pourquoi donc cette différence dans la grosseur de la fleur, du fruit, la grandeur de la feuille ? &c. À quoi est due cette perfection d’un individu sur plusieurs centaines ? Je l’ignore. Sans doute ces premières espèces perfectionnées par la nature ont frappé la vue des hommes, ils les ont choisies par préférence, en ont semé les graines d’où sont provenues les espèces vraiment jardinières, qui ont eu besoin de secours pour se maintenir telles. Si, par exemple, on sème des pépins de pomme d’api, qui certainement est une espèce jardinière du second ordre, on aura dans la suite un sauvageon, dont la pomme sera plus grosse que l’espèce jardinière ; si on sème un noyau de reine-claude, le fruit de l’arbre qui en proviendra, sera plus petit & conservera le goût de reine-claude. Cette singularité seroit inexplicable, si on ne remarquoit que la pomme sauvage est naturellement plus grosse que l’api, & que le cultivateur ayant dans le principe trouvé un pommier dont le fruit étoit très-petit, bien coloré, agréable au goût, l’a perpétué par la greffe ; tandis que le type ou fruit premier des prunes est naturellement plus petit que celui des espèces jardinières ; mais si on sème par exemple un noyau de l’abricot d’Angoumois, & je crois toute espèce d’abricots à fruits doux, on aura des arbres dont le fruit ne dégénérera point, parce que ces fruits tiennent de l’espèce jardinière du premier ordre ; on aura une autre preuve analogue, dans le bezi-de-Montigny, que M. Trudaine le père trouva au milieu de ses bois, & qui diffère de tous les autres bezy. Voilà donc des espèces du premier ordre perfectionnées par les simples mains de la nature.

Une autre singularité du second ordre de l’espèce jardinière, consiste dans l’étonnante variété du produit des semis faits avec soin ; les fleurs des parterres en offrent des exemples frappans, & si les pépiniéristes ne se pressoient pas de greffer les jeunes sujets, s’ils attendoient qu’ils eussent donné des fruits, chaque année seroit marquée par l’acquisition de nouvelles espèces jardinières du second ordre. Ce qui constitue donc les espèces jardinières du premier ordre, est de se reproduire par les semis dans le même état de perfection, & les espèces du second ordre, de dégénérer par les semis ; la greffe, les marcottes, les boutures sont seules capables de les entretenir dans l’état de bonté & de beauté auquel elles sont parvenues.

III. Des espèces hybrides, ou du troisième moyen employé par la nature à la multiplication des espèces.