Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 4.djvu/562

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rendre raison de la différence qui se trouvoit entre les degrés de chaleur & ceux du froid durant l’année, avoient été obligés d’avoir recours à l’existence d’un feu central, d’un feu placé au centre de la terre, dont les émanations perpétuelles du centre à la circonférence l’entretenoient dans une douce chaleur durant les rigueurs de l’hiver. Nous avons fait voir au mot Chaleur, Sect. 2, §. 3, combien cette supposition étoit peu fondée : nous ne nous y arriérons pas davantage.


§. V. Des Feux follets.


Avant que de terminer cet article, nous allons donner l’explication de ces apparences lumineuses que l’on voit souvent dans les campagnes, sur-tout au-dessus des lieux où se trouvent des amas de substances animales & végétales en décomposition, comme les cimetières, les voiries, &c., & que l’on désigne sous le nom de feux follets.

L’ignorance qui règne impérieusement dans les campagnes, a fait, de ces apparences, des monstres, des êtres réels, auxquels on a attribué non-seulement des propriétés physiques, mais encore des vouloirs, des desseins, des déterminations morales. Il n’y a pas de sorte d’absurdités que l’on n’entende raconter dans le fond des campagnes sur l’article du feu follet : nous sommes contrains d’en rapporter ici quelques-unes des principales, parce qu’elles tiennent à des phénomènes physiques, dont l’explication est intéressante, & doit dissiper les préjugés qui maîtrisent les esprits foibles, non-seulement des paysans & du peuple, mais souvent de certaines personnes qui, par état & par éducation, devroient rougir de s’abandonner à des erreurs aussi ridicules.

Le feu follet entre, dit-on, dans les écuries, les étables, panse les chevaux, saigne les vaches, & tord le col aux valets d’écurie qui sont négligens ; il se promène toute la nuit dans les cimetières, sous les gibets, dans les voiries… Le feu follet court dans les chemins, & surtout dans les prairies après les voyageurs, ou, marchant devant eux, il les égare & les fait tomber dans des précipices… Le feu follet, enfin, paroît sur les vieilles tours, au haut des clochers, sous différentes formes, & annonce les orages & les tempêtes.

Tout cela est très-vrai : il paroît souvent de petites flammes foibles & bleuâtres, tantôt sur les animaux que l’on panse, tantôt dans les cimetières, dans les endroits marécageux, & sur le haut des clochers & des vieilles tours. Le peuple ne se trompe donc pas sur ce qu’il voit : son erreur n’existe que dans l’interprétation qu’il y donne. Le feu follet n’est, suivant lui, qu’un esprit, qu’un être animé, souvent serviable, rarement malfaisant, & qui ne le devient que pour punir la négligence que l’on apporte à remplir ses obligations. La tradition antique des ames qui, après la mort, venoient autour des tombeaux redemander des secours qui avoient été oubliés ou négligés ; cette tradition, dis-je, perpétuée d’âge en âge, s’est emparée de tous les esprits & de tous les cœurs qui connoissent le prix de la piété & de la religion envers les morts. Ces flammes que l’on voit voltiger çà & là sur les lieux où l’on a déposé les corps morts, sont devenues des ames qui