Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 4.djvu/675

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miniatures, de magnifiques tableaux qui flottent sur ma tête.

Sous ce bosquet enchanteur, une douce langueur s’empare de tous mes sens ; mon esprit s’abandonne à une rêverie profonde ; des nuages légers viennent obscurcir mes yeux. Quel est ce prodige nouveau ? est-ce l’excès de la jouissance ? est-ce un commencement de douleur ? Pourquoi faut-il que la douleur suive de si près le plaisir ? Fuyons un danger prochain, & d’autant plus insensible, qu’il est recouvert par l’appât le plus séduisant, & semble menacer mon existence : redoutons l’air que je respire, & volons dans ce parterre aéré, où mille arbrisseaux fleuris coupent de temps en temps l’uniformité de cette immense broderie de Flore. Quelqu’élégant que soit ce dessein, quelque justes que soient ses contours, quelque savante que soit sa symétrie, je cherche la nature, & je n’aperçois que l’art : le canevas n’est rien ; je n’admire que les couleurs qu’elle a employées.

Asseyons-nous à côté de cette corbeille de fleurs, admirons cette variété étonnante d’êtres vivans qui sont couverts d’une étoffe brillante ; toutes les fleurs précieuses semblent avoir été réunies sur ces tiges mobiles. Quel mouvement soudain vient d’être imprimé aux anthères de la tulipe qui est sous mes yeux ? Un nuage, une vapeur céleste s’est échappée de ces petits réservoirs, & quelques atomes se sont fixés sur le stigmate de ce pistil ; je les vois descendre à travers sa cavité, & pénétrer jusqu’aux embryons qui sont plongés dans la léthargie ; tout d’un coup ils s’éveillent, s’agitent, & un million d’êtres nouveaux vient de recevoir l’existence. Ô nature ! quelle simplicité ! quelle grandeur !

Mais déjà les coursiers du soleil ont précipité son char dans le sein d’Amphytrite ; la nature se couvre insensiblement d’un voile épais ; les hommes & les animaux vont chercher dans les bras du sommeil de nouvelles forces & une nouvelle vie : ces fleurs semblent aussi les imiter, leurs tiges se retournent, leurs pétales se referment & cachent à mes yeux leurs brillantes richesses, pour les prodiguer au retour du Dieu de la lumière & du père de la nature. Profitons de ces instans de repos ; & pour bien connaître ces individus qui viennent de me procurer de si douces jouissances ; faisons-en l’anatomie, étudions leur diversité, suivons-les dans leur floraison & défloraison, voyons les effets de leur végétation, & pour, prolonger nos plaisirs, tâchons de les conserver même après leur mort.

Section II.

Anatomie de la Fleur.

Avant que d’entrer dans quelques détails anatomiques sur la fleur, établissons bien d’abord ce que nous entendons par ce mot. Qui croirait qu’il y ait eu différentes interprétations de ce mot, & que les botanistes, tant anciens que modernes, n’ont pas été & ne sont pas même d’accord sur ce qu’on doit entendre par une fleur. Tantôt les anciens n’ont pris pour fleur que les étamines, comme lorsqu’Aurelien nomme la rose une fleur d’un beau jaune, contenue par un calice, pourpre ; on voit bien qu’il entend ici par fleur, les étamines jaunes qui sont au centre