Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1784, tome 5.djvu/366

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greffe, donnée par l’auteur du Nouveau Laquitinie, est excellente, & je l’adopte. « Greffer, c’est l’art de multiplier & de conserver sans altération les individus des espèces précieuses, en faisant adopter, par un sauvageon, une branche ou les rudimens d’une branche d’un arbre franc ».

L’on ne connoît pas le mortel fortuné qui, le premier, découvrit & mit en pratique la greffe ; il mériteroit une statue élevée par les mains de la reconnoissance. Quels étoient les fruits dont les Celtes & les Gaulois, nos aïeux, se nourrissoient ? Nous savons l’époque à peu près où la pêche a été apportée de Perse, l’abricotier d’Arménie, le cerisier de Cérasonte, le cognassier de la Grèce, l’amandier de Perse, le figuier d’Asie, &c. Si l’on compare actuellement ces fruits savoureux & leurs étonnantes variétés à nos fruits sauvages, comme la poire, la pomme, la cerise, &c., n’est-on pas forcé de convenir que l’inventeur de la greffe mérite le titre de bienfaiteur de l’humanité ? Il ne paroît pas que l’art de greffer ait été connu des Égyptiens, des Juifs ni des Grecs : les auteurs romains sont les premiers qui en aient parlé. M. l’abbé Delille, savant & exact traducteur des Géorgiques, s’exprime ainsi, d’après Virgile, au sujet de la greffe :

Cet art a deux secrets dont l’effet est pareil :
Tantôt, dans l’endroit même où le bouton vermeil
Déjà laisse échapper sa feuille prisonnière,
On fait avec l’acier une fente légère :
Là, d’un arbre fertile on insère un bouton,
De l’arbre qui l’adopte utile nourrisson.
Tantôt des coins aigus entrouvrent avec force
Un tronc dont aucun nœud ne hérisse l’écorce.
À ses branches succède un rameau plus heureux ;
Bientôt ce tronc s’élève en arbre vigoureux ;
Et se couvrant des fruits d’une race étrangère,
Admire ces enfans dont il n’est pas le père.[1]

D’après cette description, on voit que les romains ne connoissoient pas toutes les manières de greffer, pratiquées aujourd’hui, & le silence des auteurs contemporains de Virgile, confirme cette assertion. Cet art n’étoit peut-être pas aussi utile aux Grecs & aux peuples de l’Asie, que pour les Celtes, les Vandales & même les Romains. Ces parties du monde, vivifiées par la chaleur de l’astre du jour, produisoient naturellement des fruits savoureux, & dont la perfection ne dépendoit pas des mains de l’homme. L’Europe, au contraire, couverte de bois, de lacs, d’étangs, offroit peu de fruits agréables au goût, & je crois que les peuples en-deçà des Alpes, relativement à Rome, apprirent de leurs conquérans leurs deux manières de greffer. L’observation, la patience, l’industrie & l’expérience ont donné l’idée des autres ; mais, encore une fois, on ignore le nom de l’inventeur, & le temps & le lieu où les découvertes en ont été faites.

Les instrumens nécessaires aux différentes opérations de la greffe, sont une petite scie à main, une serpette, un couteau nommé greffoir ; (voyez sa forme, Planche XV, Fig. 15) quelques petits coins en bois dur, un petit levier coudé & en fer, Fig. 17 un petit maillet en bois, des fils de coton ou de laine, ou

  1. Miraturque novas frondes, & non sua poma.