Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1784, tome 5.djvu/711

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tant d’individus à la mort ? Peut-on l’accuser d’être inutile, parce que quelques personnes sont sujettes à une récidive ; ou insuffisante, parce qu’elle n’a pu prolonger à d’autres, des jours que la petite vérole naturelle leur avoit ravis ?

La petite vérole ne laisse que trop souvent des preuves bien sensibles qu’on n’a plus à la redouter : elle imprime sur le visage, des cavités, des sillons profonds, des espèces de coutures ; elle cause des dépôts. Forcée, pour ainsi dire, d’abandonner une victime qu’on lui arrache, elle ne lâche souvent prise, qu’en la privant totalement de la vue, ou en la réduisant à la perte d’une des deux parties qui en sont les organes, ou en les rendant foibles & fluxionnaires. L’inoculation a l’avantage de préserver de tous ces accidens. Elle ne ternit point la peau ; elle n’altère ni sa souplesse, ni son poli, ni sa douceur. Elle ne déforme ni le nez, ni les lèvres : elle ne défigure point les traits.

Un autre avantage qui mérite bien d’être apprécié, dit M. Camper, c’est que, malgré le grand nombre de boutons que l’inoculation fait quelquefois sortir, jamais la petite vérole n’est confluente, & que la chute des croûtes est si facile & si bénigne, qu’il n’en reste jamais la moindre tache.

Combien la terre entière ne nous offre-t-elle pas de malheureux, dont les uns ont les paupières renversées, d’autres, les lèvres monstrueuses, le nez à demi-rongé, ou les conduits de la respiration interceptés ? Combien de jeunes personnes d’une beauté ravissante auparavant, ont perdu, par ce fléau terrible, leur établissement & leur fortune ? Combien de femmes mariées sont devenues l’horreur de leurs époux ? Concluons. Quand la petite vérole ne seroit point le tombeau de l’amour, la beauté des habitans de la terre n’est-elle pas un motif assez puissant pour nous faire admettre l’inoculation qui la conserve ? Le paganisme eût fait de l’inoculation une déesse ; il lui eût élevé des temples, consacré des prêtres, immolé des victimes.

Un autre avantage qui doit accréditer l’inoculation, c’est que par elle on peut espérer d’éteindre un jour la petite vérole. Pourquoi douteroit-on qu’on pût en venir à bout, & délivrer le genre humain de ce fléau destructeur, puisqu’elle n’a pas toujours existé ? Elle n’est pas ancienne ; on ne trouve aucune preuve, aucun témoignage que cette maladie se soit jamais montrée chez les grecs, ni chez les romains. On ne la voit, en effet, décrite ni dans Hippocrate, ni dans Celse, ni dans Galien, ni dans Cælius Aurelianus, ni dans Paul d’Égine, ni dans Arétée de Cappadoce ; elle ne l’a été que par les Arabes, dans le septième siècle de l’ère chrétienne ; & Razès est le premier qui en a donné l’histoire, & indiqué les moyens de curation.

Je n’hésiterai point à avancer que, si par-tout l’on commençoit à inoculer les enfans & les jeunes gens au dessous de vingt ans, on ne réussît à faire disparoître cette terrible maladie. J’ose même présumer qu’après trois générations, (90 ans) l’espèce humaine seroit presque délivrée de la petite vérole.

Camper prétend qu’on a fait depuis moins d’un siècle, cent mille inoculations en Europe ; il n’y a pas encore