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tir ; de toutes les méthodes c’est la plus défectueuse, à moins que la nature du local ne la décide irrévocablement : il est aisé de prévoir qu’à la moindre pluie d’orage, cette rigole se métamorphosera en torrent, & par conséquent qu’elle formera une ravine ; enfin petit à petit elle doublera & quadruplera son niveau de pente au grand détriment des terres voisines. Le vice provient 1°. de ce qu’on a donné une ligne trop droite à la rigole ; 2°. de sa pente trop rapide ; 3°. de la trop grande quantité d’eau qui s’y rend.

L’œil accoutumé à juger des niveaux, doit parcourir le champ ; on doit fixer par de petits piquets les endroits à sillonner par la charrue, & leur faire suivre les plus grands contours possibles qui modéreront la rapidité de l’eau, & la forceront à s’écouler avec tranquillité.

Il est encore très-important de multiplier les sang-sues capitales, & d’écarter les points de leur dégorgement ; par habitude ou par ignorance ces points sont chaque année placés dans le même endroit, & pendant cinq ou six récoltes consécutives ; les terres voisines ont été entraînées ; le niveau de pente s’est formé bien au-delà, & les terres seront encore plus entraînées à l’avenir : au lieu que si à chaque récolte, le point de dégorgement avoit été changé, la surface du champ n’auroit point varié, & on en auroit conservé la terre.

Un autre défaut à éviter dans la formation des rigoles par la charrue, est de jeter la terre sur un bord en montant, & sur l’autre bord en descendant. La partie inférieure n’a pas besoin d’avoir son bord rehaussé, puisqu’il est censé que le sillon est assez large & assez profond pour contenir l’eau. S’il ne l’est pas, ce peu de terre n’est pas assez fort pour empêcher que l’eau ne s’échappe à travers le champ. Il vaut beaucoup mieux faire suivre la charrue par un valet armé d’une pèle, & lui faire jeter la terre de l’intérieur sur le bord supérieur de la rigole. Ce petit rehaussement formera une espèce de petite digue qui retiendra la terre entraînée du haut ; & si l’eau est trop abondante, comme cela arrive par fois, elle fera sa trouée dans l’endroit le plus foible de cette petite chaussée, & la terre ne sera entraînée que sur les bords de la trouée, tandis qu’elle sera retenue par le reste.

Aussi-tôt après la première pluie un peu forte, le propriétaire, accompagné de ses gens avec leur pèle, suivra toutes les rigoles, les fera creuser dans les places où la terre a été déposée ; ou encore mieux, il fera rehausser les deux bords, puisque les atterrissemens prouvent que le niveau de pente est en défaut. Il visitera avec le même soin les bords supérieurs de la rigole, & fera boucher les trouées, & les fortifiera. On traitera de minutieuse la précaution que j’indique ; mais c’est le cas de citer cet adage, principiis obsta. Plus des trois quarts du sol en pente, jadis cultivés & aujourd’hui décharnés, ne seroient pas dans cet état déplorable, si leurs propriétaires avoient eu cette légère attention.

Plus le champ a d’inclinaison, & plus on doit augmenter les rigoles générales & les rigoles partielles. C’est d’eux & de leur entretien continuel que dépend sa fertilité, sur-tout dans