Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1785, tome 6.djvu/227

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plus on ira & plus on multipliera encore les espèces jardinières, surtout si on n’a pas le plus grand soin de planter à part, & dans des planches éloignées, chaque espèce jardinière. Je crois que l’on pourroit avancer, sans commettre une hérésie botanique, que la laitue sauvage est le type premier des laitues cultivées, & qu’elle doivent leur perfection simplement à la culture. Les botanistes, Von Linné, par exemple, qui est celui qui a réduit les espèces à un plus petit nombre, distingue la laitue cultivée par ses feuilles arrondies, & par ses fleurs disposées en corymbe, tandis que celles de la laitue sauvage sont pointues & presque placées horizontalement. Je demande si ces caractères sont assez constans, & s’ils suffisent pour déterminer les espèces. On n’étudie point assez la dégénérescence de nos espèces jardinières. On va en juger. Sur un mur fort épais, le vent ou les oiseaux portèrent une graine de laitue pommée ; elle y végéta, produisit une plante, & des fleurs, dont la graine venue en maturité se sema d’elle-même sur ce mur. Afin d’empêcher les oiseaux & sur-tout les chardonnerets, qui en sont très-friands, de la dévorer, j’aidai la chute de la graine, déjà beaucoup plus petite que celle de la première, & je la fis recouvrir de terre à la hauteur de deux ou trois lignes. L’année suivante, nouvelles plantes, fleurs, graines, & la même opération ; mais à cette seconde année toutes les parties de la plante étoient singulièrement dégénérées & la sécheresse y contribua beaucoup ; enfin, à la troisième année, les feuilles s’allongèrent, devinrent pointues & chargées de cils ou poils très-approchans de ceux de la laitue sauvage ; les feuilles perdirent leur forme de coquille ou de nacelle, devinrent plates & presque horisontales. Je ne sçais ce qu’il en sera cette année. Ce fait est de peu d’importance pour le cultivateur ou pour le jardinier ; mais je le rapporte afin de mettre les amateurs dans le cas d’étudier & de suivre le perfectionnement & la dégénérescence des espèces jardinières.

Je ne puis décidément assurer de quelle espèce pommée étoit la graine qui a produit la laitue dont je viens de parler, parce que le lieu où elle végéta, & la chaleur du pays lui firent bientôt perdre sa forme. Cependant je crois qu’elle appartenoit à la Gênes.

Les botanistes réduisent à une seule espèce la laitue cultivée des jardins, qu’ils appellent lactuca sativa, & ils regardent comme de simples variétés les laitues pommées & les laitues crépues. Ils ont raison dans le fond, puisque si leur culture est négligée pendant plusieurs années de suite, & si le sol est mauvais, elles dégénéreront & redeviendront ce qu’elles étoient dans leur première origine. Leur perfectionnement est donc l’ouvrage de l’industrie, de la patience, des soins, du soleil & du climat. On peut s’assurer de ce fait en Hollande, où les laitues sont monstrueuses pour la grosseur, & presque toutes les espèces de pommées, beaucoup plus grosses qu’en France.

On ne connoît pas le pays natal d’où on a tiré la première laitue des jardins ; ce qui me porte encore à penser que son véritable type est la laitue sauvage, que j’ai décrite & fait graver exprès. Au surplus, je propose cette idée comme un simple