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& qu’elle fournira une immense quantité d’étoupes.

Si on attend la maturité complète de la graine, la sève sera très-rare, très-visqueuse ou colante, & le mucilage liera si fort l’écorce contre la partie ligneuse ou chenevotte, que malgré le rouissage, la filasse cassera net avec la chenevotte.

Entre ces deux extrêmes il y a donc un terme moyen, celui où il reste une certaine aquosité dans la plante ; alors l’écorce tient moins au bois, dont la fibre est alors moins serrée & moins desséchée ; & après le rouissage cette écorce se détache, sans peine, d’un bout à l’autre, sans casser. Si une assertion pouvoit être générale en agriculture, celle-ci le seroit relativement au lin, & au moment auquel on doit l’arracher.

Cette espèce d’incertitude sur l’époque fixe à laquelle on doit arracher le lin, prouve, de la manière la plus claire, combien il est nécessaire de semer à part le lin qu’on destine à porter la graine, & de choisir à cet effet le meilleur sol & la meilleure exposition. Cette méthode est suivie dans le Levant, & la graine qu’on y récolte vaut, pour le moins, autant que celle de Riga, si vantée. La bonne qualité de la graine dépend de la bonne végétation de la plante, & d’une bonne maturité.

IX. De la manière d’arracher le lin. Dans la graine que l’on achète, les trois espèces jardinières de lin sont pour l’ordinaire confondues ensemble. De ce mélange il résulte plus de peine & plus d’embarras pour le cultivateur : une espèce s’élève plus que l’autre, ou mûrit plutôt il faut revenir à la cueillette à plusieurs reprises différentes ; il faut donc séparer le lin fin du lin grossier, &c. Ces opérations, cette perte de temps, seroient évitées si on avoit semé séparément chaque espèce, & dans un seul jour le champ entier auroit été récolté.

Les momens sont précieux pour cette récolte, quelques jours de pluies suffisent pour la retarder ou pour gâter le lin couché sur terre, lorsqu’il a été arraché. S’il est mouillé, s’il survient du soleil, les gouttes de pluies impriment au lin des taches noires qui ne s’effacent presque plus ; tandis qu’une des premières qualités du lin fin, est d’avoir une filasse d’une grande blancheur, quand elle a été peignée.

Il résulte encore du mélange du lin têtard & du moyen, l’inégalité dans la grosseur & la longueur des tiges, de manière que la chenevotte de l’une est plus écrasée au moulin, ou par le serançoir, que l’autre ; que la filasse longue & courte, débarrassée de la chenevotte, perd beaucoup en passant par le peigne, & qu’elle est plus difficile à être bien filée, que si les brins conservoient entr’eux une grandeur & une finesse à peu près égales. L’inégalité de maturité & de qualité obligent de récolter à plusieurs reprises différentes, lorsqu’on veut se procurer une belle & bonne filasse ; enfin, elle multiplie les frais, & fait perdre beaucoup de temps. Malgré cela, il vaut mieux faire ce sacrifice que de s’exposer à avoir un mauvais mélange & a cet effet on séparera les pieds suivant leur grosseur, leur longueur & leur maturité, si la récolte se fait tout-à-la-fois, ou bien on les récoltera chacune séparément, & à l’époque où elles devront l’être ; ce qui vaut beaucoup mieux.