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du fer, & est inaccessible à la corruption. On commence si bien à reconnoître la valeur du mélèse en Suisse, qu’il y est fort recherché & payé très chèrement. Chez les Grisons, on en fait des bardeaux qui durent des générations entières, & des tonneaux qu’on peut appeller éternels, & où le spiritueux du vin ne s’évapore presque pas.

Dans le territoire de Bex, au gouvernement de l’Aigle, on voit aujourd’hui un bâtiment construit avec le bois de mélèse, qui, à présent est une écurie, exposée à toutes les injures de l’air ; cependant elle a été bâtie en 1536, ainsi que le porte la date gravée sur ce bois.

Dans le haut-Dauphiné, la Savoye, le pays de Vaux, on bâtit des maisons avec des pièces de ce bois, de l’épaisseur d’un pied, posées horizontalement les unes sur les autres. Il n’est pas nécessaire de recourir à un enduit pour les jointer les unes aux autres, il se forme naturellement, par la chaleur du soleil, qui fait sortir la résine de l’arbre, & cette résine bouche tous les vides. Sur les coins de chaque face, on fait des entailles à mi-bois, afin de mieux lier les pièces les unes aux autres ; les interstices & les trous faits pour placer les chevilles, ne tardent pas à être remplis de ce mastic, qui rend tout l’édifice impénétrable à l’eau ou à l’air. Enfin, le bâtiment est entièrement vernissé par la résine, Dans le principe, le bois est blanc ; mais après quelques années, le vernis qui le recouvre devient noir comme du charbon.

Dans le Chamonix, on en fait des lattes ou anselles, dont on couvre les maisons, & elles sont incorruptibles.

Dans le Briançonnois, tous les gens de l’art conviennent que la durée de la charpente, faite en mélèse, est du double de durée de celle du meilleur chêne.

Les conduites souterraines des eaux, par des mélèses forés, sont encore, de l’aveu de tout le monde, incorruptibles. Ainsi donc, dans les différens pays à mélèse, les opinions se réunissent à attester, que c’est l’arbre d’Europe dont la durée est la plus considérable, & que dans beaucoup de circonstances ce bois est incorruptible. Voilà, pour les usages simplement économiques. Voyons actuellement quels avantages la marine pourroit en retirer.

On fait avec le mélèse des mâts pour naviguer sur le lac de Genève ; ils y durent environ cinquante ans, & presque tous les bois de bordage de ces barques sont de ce bois, & durent le double du chêne.

L’expérience a encore prouvé dans le Valais, que le mélèse, venu dans la plaine, au pied des montagnes, vaut mieux pour l’usage, que celui des hauteurs ; & c’est précisément le contraire pour le sapin.

Pierre Serre, maître mâteur, du département de Rochefort, fut envoyé, il y a quelques années, dans le pays de Vaux, & autres adjacens, où il séjourna pendant plusieurs mois, pour examiner si on pouvoit y trouver des bois propres à la mâture. Il y vit en effet, & en quantité, de très-belles pièces de sapin ; mais après les avoir bien vérifiées, il trouva que ce sapin ne valoit pas mieux que celui des Pyrennées que la marine réprouve, parce qu’il n’a pas la pesanteur spécifique des mâts qu’on tire du nord. Quant au mélèse, il s’assura qu’il avoit plus de pesanteur spécifique,