Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1786, tome 7.djvu/491

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usage, non-seulement pour les valets de la métairie, mais encore pour moi. J’envoyai demander, en 1772, de l’huile de pavots chez un très-grand nombre d’épiciers de Paris ; celle qu’on m’apporta successivement de plusieurs endroits avoit une odeur affreuse de térébenthine. Je me rendis chez plusieurs épiciers, & surtout chez le fournisseur de l’huile que j’examinois, pour lui demander de l’huile de pavot. Nous n’en vendons point de pure ; la loi la défend avec raison, parce qu’elle est narcotique & très-dangereuse, & comme elle ne peut & ne doit servir qu’à la peinture, la loi permet qu’elle soit mixtionnée avec l’essence de térébenthine. Telle fut sa réponse ; mais comme je savois à quoi m’en tenir sur les véritables propriétés de cette huile, cette réponse me dévoila tout le mystère.

Afin de mieux constater jusqu’à quel point la mixtion frauduleuse avoit lieu, & surtout afin de me mieux convaincre encore, par une suite d’expériences, que l’huile de pavots ne contenoit rien de narcotique, rien de dangereux, je procédai, avec la plus scrupuleuse attention, à une suite d’expériences en présence de plusieurs habiles chimistes de Paris.

Dès que la salubrité de cette huile m’eut été démontrée jusqu’à la dernière évidence, & après m’être assuré qu’elle se conservoit douce & sans odeur, aussi long-temps que l’huile d’olive, je présentai, au mois de juillet 1773, au magistrat de police, un mémoire dans lequel j’exposois les avantages qui résulteroient pour le peuple, pour le commerce & pour l’agriculture, de la vente libre de l’huile de pavot ; il ordonna un soit communiqué aux maîtres gardes épiciers opposans pour leur corps ; enfin de consulter, de nouveau, la faculté de Paris, & ce fut au mois d’août 1773 que les mémoires pour & contre lui furent remis. La faculté, sagement lente dans ses opérations, après avoir répété un grand nombre d’expériences, donna, le 12 février 1774, un décret qui confirma le sien de 1717. Voilà donc cette huile déclarée, une seconde fois, par les juges légitimes, saine, nullement pernicieuse, & ne contenant rien de narcotique. Le collège des médecins de Lille en Flandres, où la consommation de l’huile pure de pavot étoit journalière, donnèrent une semblable décision le 16 septembre 1773. Enfin, à force de soins, de démarches & de sollicitations, je parvins à obtenir de nouvelles lettres patentes qui permirent, dans tout le royaume, la fabrication & la vente de l’huile pure de pavot.

Je prie le lecteur de me pardonner l’épisode que je viens de lui présenter : certes ma plume n’a pas été guidée par la petite vanité de parler de moi, mais j’ai voulu constater, autant qu’il est possible, des faits positifs, & m’opposer sur-tout à ce que la cupidité de quelques particuliers ne parvienne pas, de nouveau, à surprendre la religion du magistrat, enfin, détruire une erreur trop long-temps accréditée par l’intérêt & par la loi qui défendoit l’usage de cette huile.

La masse d’objections faites contre cette huile se réduit à deux chefs ; 1°. c’est du pavot qu’on retire l’opium ; l’opium est un puissant narcotique : donc l’huile qu’on extrait de la graine est narcotique ; 2°.