Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1789, tome 8.djvu/775

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visager cette proposition. Les arbres appartiendront à l’administration, ou bien elle les cédera aux propriétaires riverains. Il s’agit ici d’une administration vraiment patriotique, animée de cet esprit d’ordre & de désintéressement qui s’est déja manifesté dans les assemblées provinciales. Si le désir de griveler, d’enrichir des sous-ordres & des familiers de bureau, les plantations coûteront beaucoup, leur entretien sera onéreux, & leurs bénéfices nuls. Je suppose que depuis Orléans jusqu’à Bordeaux, depuis Dijon jusqu’à Marseille, depuis Antibes jusqu’à Bayonne, &c, en un mot tout terrain convenable soit planté en mûriers. Il est clair qu’après vingt ans ; chaque pied de mûrier sera affermé 40 sous ou trois livres, & le prix du fermage augmentera en raison de l’âge & de la vigueur de l’arbre. Ainsi sur chaque cinq toises de longueur de chemin, on retirera six livres des deux arbres plantés sur leurs bords, & cette somme sera suffisante & au-delà pour payer chaque année ce que l’on appelle l’entretien de chemin au parfait. Il est donc possible de trouver dans la seule plantation une très-grande économie & une économie annuelle pour la province. Quand même elle ne seroit que de moitié du prix de ferme que j’avance, elle équivaudroit presque entièrement aux frais de l’entretien parfait. Mais si on adopte cette méthode, & afin d’éviter toute espèce de tracasserie avec les propriétaires riverains, il conviendroit de planter, non dans les fossés, mais, ainsi qu’il a été dit, sur la lisière de la route.

La muriomanie est passée de mode en France ; les propriétaires se sont dégoûtés des plantations faites dans leurs champs, & ont trouvé que le produit des feuilles n’équivaloit pas à celui d’une récolte en grain sur une bande de terre de 18 pieds de largeur qu’il falloit sacrifier pour la cueillir. Ils ont encore reconnu que les racines du troisième ordre (consultez ce mot) dévoroient au loin leurs moissons ; & c’est d’après ces observations qu’une très-grande partie des mûriers ont été supprimés ; dès-lors la récolte de la soie, loin d’augmenter en France, a diminué depuis 12 ou 15 ans. Les mûriers plantés sur la lisière des routes, répareroient & au-delà cette soustraction.

J’avoue que tous les climats, que tous les sols ne conviennent pas aux mûriers ; mais des exceptions locales ne détruisent pas la généralité de ma proposition. Qui empêche, par exemple, qu’on ne leur substitue des noyers, des châtaigniers, des pommiers à cidre, comme dans la Normandie, des poiriers à poiré, comme dans l’Anjou, dans la Picardie &c., & mêmes des cerisiers, & des poiriers & des pommiers à bons fruits d’hiver, comme dans plusieurs cantons de la Suisse. S’ils sont greffés sur franc, on est assuré d’avoir de très-grands & de très-beaux arbres. Mais, dira-t-on, on volera ce fruit ; vole-t-on le raisin des vignes, qui bordent les grands chemins ? & même quelque peu de raisins volés ne diminuent guères la récolte : vole-t-on les noix, les châtaignes sur les arbres qui bordent la majeure partie des routes de France ? on ne volera pas même les cerises, si cette espèce d’arbre est multipliée. D’ailleurs c’est