Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1789, tome 8.djvu/91

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tiers. Les gaulois nos ancêtres étoient réduits à manger des fruits âpres & durs ; tels étoient ceux des seuls poiriers, pommiers, pruniers & cerisiers dans leur état sauvage. Leur saveur en est si désagréable, qu’on n’ose assurer que de tels fruits fussent réservés pour la nourriture de l’homme. Le mélange de la poussière des étamines de fleurs différentes a commencé à améliorer quelques espèces, & successivement elles ont été multipliées & conservées par la greffe, aux dépens de la qualité du bois. Le poirier sauvage de nos forêts, élève de la nature, fait un arbre dont le tronc & les branches ont beaucoup plus de force, d’élévation & de compacité que le poirier greffé. Ainsi l’arbre perd d’un côté en proportion qu’il acquiert de l’autre par la qualité de ses fruits. En effet, le poirier greffé sur coignassier a des fruits plus prématurés, plus fondans que ceux greffés sur franc. Le premier se hâte de vivre & de faire jouir, & le second, plus économe, se ménage une longue existence. Cet arbre brave les rigueurs de l’hiver de nos climats parce qu’il est élevé dans son pays natal. Toutes nos espèces ou variétés réussiroient-elles également en Russie ? Je ne le crois pas. La chaleur y seroit peut-être assez forte pour mûrir nos poires printanières, mais celles de l’arrière-saison & dé l’hiver n’auroient pas le temps d’y acquérir la consistance charnue qui leur permet d’achever leur maturité dans nos fruitiers. Par la même raison, nos poiriers végéteront tristement dans les pays fortement actionnés par la chaleur du soleil, & si certaines espèces de poires se perfectionnent dans les provinces méridionales du royaume (par exemple le bon-chrétien), l’expérience prouve que plusieurs s’y détériorent. Chaque arbre, chaque arbrisseau & même chaque plante a un climat qui lui est propre, parce qu’ils y trouvent le vrai degré de chaleur qui leur convient, & dès qu’ils sont en deçà ou en delà de leur ligne juste de démarcation, leur végétation devient languissante & influe sur la qualité de leurs fruits. Ne cherchons donc pas à multiplier le nombre des espèces & des variétés dans le canton que nous habitons ; cherchons à connoître celles qui y réussissent le mieux, laissons aux amateurs le soin de faire des collections, d’étendre leurs jouissances ; mais, si dans le nombre des espèces qu’ils cultivent, il s’en trouve de convenables au canton, prions-les de nous donner des greffes, & multiplions les individus. On ne doit pas conclure de ce qui vient d’être dit, que je blâme les soins assidus & l’envie de jouir des amateurs ; bien au contraire, c’est par eux que nos richesses en ce genre augmentent, qu’ils varient nos jouissances. Mon but est de prévenir le simple cultivateur, le cultivateur peu aisé, contre des recherches qui ne sont pas de sa compétence. Il doit laisser ce soin aux gens riches ; & lui, songer à l’utile plutôt qu’à l’agréable.


CHAPITRE PREMIER.

Caractère du Genre.

Von-Linné a réuni au genre du poirier le pommier, le coignassier ;[1]

  1. Le poirier & le coignassier peuvent à la rigueur, & à la manière dei botanistes