Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1800, tome 10.djvu/139

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milien traversèrent la France pour se rendre à Tours où étoit Louis XII, la reine leur fit porter à Blois du poisson, de la marée et trois barils de vin vieil de Beaulne et d’Orléans.

Ces dernières citations donnent lieu à plusieurs remarques. On y voit le vignoble de Mantes, quoique très-voisin de la Normandie, si même il ne faisoit partie intégrante de cette province, compté au nombre de nos vignobles les plus distingués. Il est déchu de sa réputation depuis une quarantaine d’années, époque du défrichement du clos vulgairement nommé des Célestins. La négligence qu’on a mise à maintenir la renommée des vins de ce canton est d’autant plus fâcheuse qu’ils sont pour ainsi dire les seuls récoltés dans la partie septentrionale de la France qu’on puisse assimiler aux vins de Bordeaux, de Cahors et d’autres provinces plus méridionales encore, pour ne rien perdre de leur qualité dans le cours des plus longs trajets en mer. On assure qu’un de nos voyageurs du dernier siècle en transporta jusqu’en Perse, sans qu’il eût éprouvé la moindre altération ; et nous savons qu’ils ont été du nombre des vins français les plus recherchés par les Anglois et les Hollandois[1]. Les habitans de Mantes et leurs voisins de Dreux ont à leur portée un sol, des expositions, des abris tellement avantageux pour la vigne, qu’ils pourroient être enviés dans des départemens où ce genre de culture jouit depuis long-tems d’une réputation que personne ne conteste.

La liste d’Eustache Deschamps annonce qu’il existoit déjà de son tems une certaine rivalité d’industrie, d’émulation et de renommée entre les vins de Bourgogne et ceux de Champagne ; rivalité qui a dégénéré depuis en une lutte assez ridicule, et dont nous parlerons avant de terminer ce chapitre. Le même auteur, en parlant des vins de Gonesse, nous conduit naturellement aux autres vignobles de Paris dont les nomenclateurs ont peu parlé jusqu’ici, quoiqu’ils soient très-anciens, qu’ils aient été peut-être plus multipliés qu’ils ne le sont de nos jours, et qu’ils aient joui d’une réputation à laquelle on auroit peine à croire, si elle n’étoit attestée par une foule de témoignages authentiques. Enfin on vient de voir les vins d’Orléans mis pour ainsi-dire en parallèle avec ceux de Beaune ; les tems sont bien changés à leur égard. Cependant ils ont éprouvé tant de vicissitudes dans leur fortune, et la consommation qui s’en fait dans l’intérieur de l’État est si considérable que nous devons rapporter ce qu’ils ont été, parce que ce sera dire ce qu’ils pourraient être en-

  1. Quand le commerce est ouvert avec les Anglais et les Hollandais, les uns et les autres chargent à Bordeaux, à Nantes, à la Rochelle les vins de Bordeaux, du Querçi, du Languedoc, de la Basse-Navarre et de Bearn ; ils embarquent à Rouen, à Dunkerque et à Calais ceux de Bourgogne, de Champagne et de Mantes.