Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1800, tome 10.djvu/198

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

individus, non-seulement de la même espèce, mais de la même race. J’ai observé que cette différence se manifeste jusques dans les formes extérieures de plusieurs variétés de vignes. Le gamet, par exemple, est un raisin très-connu dans les deux tiers de nos vignobles. Ce cépage est précieux dans toute l’étendue de la côte du Rhône, parce qu’il produit assez abondamment, et sur-tout, parce qu’on y obtient de son jus un excellent vin. La réputation de sa fécondité, et des qualités de son fruit, le firent transporter en Bourgogne, il y a cinquante ou soixante ans. Là, il est dénué de toute qualité ; le vin qu’on en retire est plat et âpre tout à-la-fois ; il est entièrement dénué de ce parfum qu’on appèle le bouquet, et qui a tant fait pour la réputation des premiers vins de cette province. Aussi ai-je entendu dire à un des propriétaires de ces vignobles distingués, le gamet tuera la Bourgogne ; expression pleine d’énergie, échappée à la véracité d’un bon cultivateur, d’un excellent père de famille, qui gémissoit sur l’avidité mal entendue de ses concitoyens, qui, en sacrifiant le maurillon-pineau au gamet, parce que celui-ci est quatre fois plus fécond, s’en laissent imposer par de grandes récoltes, dont il ne peut résulter à la longue qu’un foible revenu. Le prix de leur vin se soutient ; mais ce n’est qu’à la faveur de la vieille réputation de leur vignoble ; et elle s’usera infailliblement s’ils ne vont au-devant de sa perte.

Il n’y a guère que cinquante ans, comme nous l’avons dit, que le gamet a été introduit en Bourgogne. Pendant cette courte durée, le sol et le climat ont tellement agi sur les formes, que les individus de cette contrée, comparés à ceux de la même essence, qui croissent sur la côte du Rhône, sont tout-à-fait méconnaissables.

Le sujet gravé, pl. XVIII, a été tiré de ce dernier vignoble ; il n’a aucune ressemblance avec ses congénères de Bourgogne, et moins encore avec ceux qu’on introduit journellement dans les vignobles des environs de Paris, comme faisant partie des plants de Bourgogne.

Ces observations me font douter qu’il fût possible d’établir une synonymie positive de toutes nos espèces et variétés de vignes, d’après les remarques faites sur les productions d’une ou de deux collections seulement : et comme le citoyen Duchesne, je pense que, pour obtenir de ces établissemens un avantage général, il faudroit les multiplier dans tous les départemens où il se trouve des vignobles.

Mais quand on songe à ce nombre de collections, aux difficultés à vaincre, pour réunir tous les individus dont chacune d’elles devroit être formée, aux soins, on peut dire minutieux, à lui prodiguer sans cesse, et sur-tout pendant ses premières années : au zèle, au talent, à l’activité qu’exige une telle surveillance, et qu’on trouve si rarement réunis dans le même homme ; enfin quand on songe au long tems pendant lequel il faudroit