Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1800, tome 10.djvu/283

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ches propriétaires se livrer aux plus excessives dépenses pour exécuter cette ridicule entreprise ; on en a vu, non pas se borner seulement à tirer des plants de certains crûs affectionnés par eux, mais en faire charroyer des terres dans leurs domaines situés à 50 ou 60 myriamètres du lieu où ils les faisoient charger. Les richesses de tous les potentats, la puissance de tous les peuples du monde seroient insuffisans pour former seulement un demi hectare de terre conforme, dans tous les points, à celle du petit vignoble de Morachet, et dont les vertus seroient les mêmes pour donner les mêmes qualités à ses produits. Il faudroit, chose impossible, retrouver à la même latitude ; le même climat, les mêmes abris ; il faudroit y transporter non-seulement la couche supérieure de terre, mais encore toutes les couches inférieures, et peut être jusqu’à 25 mètres de profondeur ; les ranger ensuite dans l’ordre où la nature les a disposées à Morachet ; laisser à chaque couche sa même épaisseur et donner au plant de chacune de ces couches, son même degré d’inclinaison. Mais cessons de nous occuper d’une telle chimère qui seroit beaucoup mieux placée dans une féerie que dans un ouvrage élémentaire.

Notre opinion sur la grande influence des couches inférieures de la terre, relativement aux végétaux qu’on cultive à sa surface, étonnera peut-être quelques personnes ; mais comment explique soit-on autrement une foule de faits, dont plusieurs du même genre se retraceront infailliblement à la mémoire du lecteur, dès que nous l’aurons mis sur la voie.

Le petit vignoble de Morachet, est situé dans le voisinage de Poligny, et distingué en trois parties, sous les dénominations de Morachet, de chevalier Morachet, de troisième Morachet. Chacune de ces parties n’est séparée de l’autre que par un sentier. D’ailleurs elles forment un ensemble dont l’exposition est la même sur tous les points ; même nature de terrein, quant à la couche supérieure ; mêmes espèces de vignes ; mêmes façons dans la culture ; même époque de vendanges ; mêmes soins et mêmes procédés dans la fabrication des vins. Jugeons maintenant, par les prix des récoltes, de la différence de leurs qualités. Quand une pièce de vin du premier Morachet se vend 1,200 fr., la même mesure récoltée sur le chevalier en vaut 800, et celle du troisième, 400 seulement.

Pendant qu’Arthur Young parcouroit les vignobles de Champagne, quelques propriétaires lui désignèrent certains hectares, plantés en vignes, qui ne valoient que 600 francs ; et d’autres, très-voisins des premiers, dont le prix s’élevoit à une somme cinq ou six fois plus forte, quoique l’exposition n’en fût pas différente, et que la nature du terrein semblât être parfaitement la même dans les uns et dans les autres.

Cette remarque n’avoit point échappé à Bernard Palissi. Dans