Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1800, tome 10.djvu/285

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avantageux ou nuisible à la vigne. Les réponses que nous avons reçues à cette question, de la part des cultivateurs qui ont bien voulu nous communiquer les lumières que nous avons réclamées de leur zèle, sont en pleine contradiction les unes avec les autres ; et toutes n’en sont pas moins fondées sur l’expérience et d’après de bonnes observations. Une partie de ces cultivateurs dit : tout ce qui tend à favoriser l’humidité, comme le voisinage des rivières, etc., est préjudiciable à la vigne ; soit parce qu’en lui communiquant une sève surabondante, elle est un obstacle à la maturité de son fruit ; soit parce qu’elle l’expose aux gelées, le fléau le plus fréquent et le plus redoutable auquel elle puisse être exposée. D’autres observateurs tirent, de la proximité des rivières, des conséquences entièrement opposées aux premières. Le peu d’humidité qui s’en exhale, disent-ils, ne peut servir qu’à l’entretien de la sève, que faire partie de la nourriture essentielle de la plante. Ces vapeurs la rafraîchissent doucement, réparent ou tempèrent les effets des grandes chaleurs, ramollissent l’enveloppe du grain, facilitent sa dilatation et disposent le muqueux à la maturité.

En effet, quand le cours de l’Ebre, au rapport de Pline[1], se fut éloigné d’Émus, ville de la Thrace, les vignes du voisinage eurent bientôt perdu leur réputation, parce que la chaleur desséchoit la plante avant la maturité du raisin. On récolte le Tokai dans les vignes qui croissent sur le Teysse ; les vins célèbres de l’Hermitage, de Côte-Rôtie, de Condrieu, sont produits sur les coteaux qui bordent le Rhône ; la Dordogne, la Garonne et les autres grandes rivières qu’elles reçoivent, ne contribuent pas peu aux bonnes qualités des vins de la Guienne ; la Loire, la Marne et la Seine ne voient, pour ainsi dire, que des vignes dans toute l’étendue de leur cours ; et la fameuse côte qui traverse la Bourgogne domine une plaine arrosée par la Saône.

Ne seroit-il pas possible que ces deux opinions fussent également fondées en principes, c’est-à-dire que, partout où les vapeurs souterraines procurent aux plantes une quantité suffisante de nourriture, proportionnée à leurs besoins et à l’action de la lumière et de la chaleur sur la sève, l’humidité provenant du voisinage des rivières, fût surabondante et par conséquent nuisible ; et que là, au contraire, où le sol est très-sec ou imperméable à ces mêmes vapeurs, par la nature de quelques-unes des couches intermédiaires, les émanations des rivières fussent un bienfait pour la vigne, et vraiment un moyen de prospérité ? Mais il est une circonstance essentielle pour en assurer le bon effet ; c’est que les vignes dominent la rivière ; qu’elles soient assez élevées pour n’être atteintes par les

  1. Lib. 17, cap. 4 et 5.