Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1800, tome 10.djvu/296

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chaude et moins soutenue que celle dans laquelle ont été élevés les ceps dont elles tirent leur origine ; et par la raison inverse, la vigne de Champagne parviendra à sa maturité douze ou quinze jours plutôt que les vignes de la Touraine. L’année suivante, le tems de la maturité des uns et des antres se rapprochera davantage. Les différences seront moins sensibles à la troisième année ; enfin, après huit ou dix ans de transplantation, l’époque de la maturité, la saveur dans les fruits, tout se rapprochera ; quelques années de plus encore, et les caractères apparens et les qualités des produits se confondront tellement qu’il n’y aura, pour ainsi dire, d’autre moyen de les distinguer que par le souvenir de la place que les vignes étrangères doivent occuper. Pourquoi d’ailleurs aller chercher au loin des races qu’on a si près de soi ? car il n’existe aucun grand vignoble en France où ne se trouvent tout acclimatées les espèces ou variétés qu’on veut tirer d’ailleurs. Elles peuvent n’avoir, il est vrai, ni les mêmes noms, ni la même saveur, ni les mêmes qualités, ni les mêmes caractères apparens ; qu’importe ? elles n’y existent pas moins. Si c’est par l’effet de leur dégénération ou de leur régénération qu’elles sont devenues en quelque sorte méconnaissables, vous pouvez vous attendre aux mêmes mutations dans les nouveaux individus que vous voudriez introduire dans votre domaine ; vous éprouverez, à cet égard, ce que mille autres ont éprouvé avant vous. En voici un exemple très-frappant. Nous le citons de préférence, parce que la lieu d’où le propriétaire tira ses plants de faveur, est peu éloigné de celui où il jugea à propos de les replanter, et que cette circonstance est très-digne d’attention.

En 1774, le comte de Fontenoy, propriétaire en Lorraine, homme assez heureusement né pour avoir le goût des choses utiles, et assez riche pour pouvoir s’exercer impunément à des essais coûteux, forma le projet d’établir une vigne de Champagne dans sa terre de Champigneulle. Quelques observateurs lui représentèrent inutilement que le sol n’étant pas celui de Champagne, il ne récolteroit que du vin de Lorraine. Les marcottes furent tirées de la montagne de Rheims ; on les planta sur un coteau, à la plus heureuse exposition : aucun soin, aucune dépense ne furent épargnés, ni dans la plantation ni dans la culture de cette jeune vigne. Ses premiers fruits semblèrent, en effet, donner quelques espérances de succès ; ils avoient une autre saveur que ceux des vignes voisines ; mais après sept ou huit ans, cette saveur particulière disparut ; et vingt années ne s’étoient pas encore écoulées qu’il ne restoit plus d’autre privilège à cette vigne que de porter le nom de plant de Rheims.

Cependant ou a transporté au Cap, nous objectera-t-on, du plant de Bourgogne, et ce plant a bien fait ; il y a réussi : il ne s’agit que d’interpréter ce mot réussi, et de s’entendre sur la nature de ce succès. Si, par le moyen de ce plant