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moût étoit beaucoup plus forte. Après la dissolution de ce sucre, la saveur de la liqueur quoique très-sucrée n’avoit rien de flatteur, parce que le doux et l’aigre s’y faisoient sentir assez vivement et séparément d’une manière désagréable.

» J’ai mis cette espèce de moût dans une cruche qui n’en étoit pas entièrement pleine, couverte d’un simple linge ; et la saison étant déjà très-froide, je l’ai placé dans une salle où la chaleur étoit presque toujours de 12 à 13 degrés, par le moyen d’un poêle.

» Quatre jours après, la fermentation n’étoit pas encore bien sensible ; la liqueur me paroissoit tout aussi sucrée et tout aussi acide ; mais ces deux saveurs commençant à être mieux combinées, il en résultait un tout plus agréable au goût.

» Le 14 novembre la fermentation étoit dans sa force ; une bougie allumée introduite dans le vuide de la cruche, s’y éteignoit aussitôt.

» Le 30, la fermentation sensible étoit entièrement cessée, la bougie ne s’éteignoit plus dans l’intérieur de la cruche ; le vin qui en avoit résulté étoit néanmoins très-trouble et blanchâtre ; sa saveur n’avoit presque plus rien de sucré ; elle étoit vive, piquante, assez agréable, comme celle d’un vin généreux et chaud, mais un peu gazeux et un peu verd.

» J’ai bouché la cruche et l’ai mise dans un lieu frais pour que le vin achevât de s’y perfectionner par la fermentation insensible pendant tout l’hiver.

» Enfin, le 17 mars dernier 1778, ayant examiné ce vin, je l’ai trouvé presque totalement éclairci ; son reste de saveur sucrée avoit disparu ainsi que son acide. C’étoit celle d’un vin de pur raisin assez fort, ne manquant point d’agrément mais sans aucun parfum ni bouquet, parce que le raisin que nous nommons verjus n’a point du tout de principe odorant ou d’esprit recteur ; à cela près, ce vin qui est tout nouveau, et qui a encore à gagner par la fermentation que je nomme insensible, promet de devenir généreux, moelleux et agréable ».

Ces expériences me paroissent prouver avec évidence que le meilleur moyen de remédier au défaut de maturité des raisins, est de suivre ce que la nature nous indique, c’est-à-dire, d’introduire dans leur moût la quantité de principe sucré nécessaire qu’elle n’a pu leur donner. Ce moyen est d’autant plus pratiquable que non-seulement le sucre, mais encore le miel, la mélasse et toute autre matière saccharine d’un moindre prix, peuvent produire le même effet, pourvu qu’ils n’ayent point de saveur accessoire désagréable qui ne puisse être détruite par une bonne fermentation.

Bullion faisoit fermenter le jus des treilles de son parc de Bellejames en y ajoutant quinze à vingt livres de sucre par muid ; le vin qui en provenoit étoit de bonne qualité.

Rozier a proposé depuis long-