Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/134

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Une plante isolée, destinée à propager son espèce, ne produit presque jamais un effet agréable à la vue ; rien de plus facile que d’oublier de lui donner tous les soins qu’elle exige pendant le cours de sa végétation, et d’en faire la récolte quand elle est parvenue au point de maturité convenable. La qualité du sol et l’avantage de l’exposition contribuent pour beaucoup au parfait développement des plantes. Un bon jardinier doit avoir pour principe de réserver, tous les ans, dans l’endroit du clos le mieux exposé, une ou plusieurs planches, de les préparer convenablement, de choisir scrupuleusement parmi les plantes destinées à servir de porte-graines, les individus qui réunissent toutes les qualités qui leur appartiennent essentiellement.

Une première attention, c’est de laisser les plus beaux pieds monter en graine ; deux à trois de beaucoup d’espèces (nous en exceptons les plantes légumineuses) suffisent pour l’entretien d’un jardin d’une certaine étendue ; mais cette quantité seroit insuffisante pour quiconque en fait le commerce, ou qui voudroit compter au nombre de ses actes de bienfaisance agricole la distribution gratuite des graines, aux habitans de son voisinage : alors on ne sauroit assez s’en procurer, ni employer trop de précautions pour les ramasser et les conserver, d’après les bons principes. Traçons ici, en peu de mots, ce qu’il y a de plus essentiel à faire dans cette circonstance.

Après avoir choisi pour porte-graines les sujets les plus beaux et les plus francs, parmi les plantes chez lesquelles l’individu mâle est séparé de l’individu femelle, on les met en réserve jusqu’au moment de leur transplantation ; ceux qui ne doivent pas passer l’hiver sur terre, sont replantés au printemps dans un terrain propre à leur espèce, et à une distance convenable, afin qu’ils puissent prendre le plus grand développement possible ; on fait toujours en sorte de séparer les espèces analogues, et qui pourroient se faire dégénérer réciproquement par le mélange des poussières fécondantes.

Si quelques cultivateurs, après avoir tenté de se procurer des variétés par le rapprochement, par le mélange de certaines plantes avec d’autres, n’ont pas réussi, c’est probablement pour n’avoir pas assez consulté l’analogie végétale et rapports qu’avoient entr’elles les espèces qu’ils vouloient croiser ; il n’est pas de jardin qui ne présente journellement des exemples de ces dégénérations, opérées par la fécondation réciproque des plantes d’une même famille les unes par les autres ; et, dans les grandes cultures, les céréales et les plantes légumineuses eu offrent aussi tics preuves multipliées.

Désirant suivre l’effet de ce phénomène sur les haricots, l’auteur du nouveau la Quintinie ; envoya, en 1780, de Normandie, à Vilmorin, une collection de toutes les variétés qu’il avoit pu rassembler, avec invitation de les cultiver toutes dans le même terrain, et d’observer jusqu’à quel nombre se porteroient les variétés qui pourroient résulter de cette culture, pendant quelques années : il en planta cent et quelques espèces, toutes triées à la main, pour ne mettre en terre que les semences qui portoient le caractère le plus marqué de leur espèce ; il en fit autant de petites planches séparées par un sentier ; et le fait est qu’en trois recoltes les espèces ou variétés très-distinctes excédoient déjà trois cents, et il n’y a pas de doute qu’en peu d’au nées elles ne se fussent élevées à un nombre plus considérable.

Vilmorin a eu fréquemment occasion de faire des observations analogues dans les expériences qu’il a suivies, à dessein d’obtenir et de conserver très-franches quelques espèces de légumes que nous