les suffoqueroit sans cette précaution. Dix oies occupent ainsi une femme pendant une heure, soir et matin. On peut les gorger trois fois le jour, si elles digèrent facilement ; mais il seroit dangereux d’y revenir tant que leur digestion n’est pas achevée. En moins d’un mois, les oies prennent une graisse prodigieuse et acquièrent le double de leur poids, c’est-à-dire, de dix-huit à vingt livres chacune.
Troisième Méthode. L’objet de celle-ci est pour faire grossir le foie. Personne n’ignore les recherches de la sensualité pour faire refluer sur cette partie de l’animal toutes les forces vitales, en lui donnant une sorte de cachexie hépatique. En Alsace, le particulier achète une oie maigre qu’il renferme dans une petite loge de sapin assez étroite pour qu’elle ne puisse s’y retourner ; cette loge est garnie, dans le bas-fond, de petits bâtons distanciés pour le passage de la fiente, et, en avant, d’une ouverture pour sortir la tête ; au bas, une petite auge est toujours remplie d’eau dans laquelle trempent quelques morceaux de charbon de bois.
Un boisseau de maïs suffit pour sa nourriture pendant un mois, à la fin duquel l’oiseau se trouve suffisamment engraissé ; on en fait tremper dans l’eau, dès la veille, un trentième qu’on lui insinue dans le gosier, le matin, puis le soir. Le reste du temps, ils boivent et barbotent.
Vers le vingt-deuxième jour, on mêle au maïs quelques cuillerées d’huile de pavot ; à la fin du mois, l’on est averti par la présence d’une pelote de graisse sous chaque aile, ou plutôt par la difficulté de respirer, qu’il est temps de tuer l’oie ; si l’on différoit, elle périroit de graisse. On trouve alors son foie pesant depuis une livre jusqu’à deux, et l’animal se trouve excellent à manger, fournissant, pendant la cuisson, depuis trois jusqu’à cinq livres de graisse, qui sert pour assaisonner les légumes, le reste de l’année.
Sur six oies, il n’y en a ordinairement que quatre (et ce sont les plus jeunes) qui remplissent l’attente de l’engraisseur ; il les tient ordinairement à la cave ou dans un lieu peu éclairé. Les Romains, friands de ces foies, avoient déjà observé que l’obscurité étoit favorable à ce genre d’éducation, sans doute parce qu’elle éloigne des oies toute distraction, et détermine toutes les facultés vers les organes digestifs.
Le défaut de mouvement et la gêne qui survient dans la respiration peuvent y être ajoutés ; le premier en diminuant les pertes, et tous deux en ralentissant la circulation dans le système de la veine porte, dont le sang doit s’hydrogéner à mesure que son carbone s’unit à l’oxigène qu’absorbe ce liquide ; ce qui favorise la formation du suc huileux, qui, après avoir rempli le tissu cellulaire de l’habitude, s’insinue dans les conduits hépatiques, s’y engorge pour pénétrer ensuite le tissu même du foie, et constituer cette substance grasse et abondante qui, fondant dans la bouche des gourmets, flatte délicieusement leur palais. Le foie ne contracte donc qu’un engorgement consécutif, puisque la gêne dans la respiration ne se manifeste qu’à la fin, en empêchant le développement du diaphragme.
On parle souvent de la maigreur des oies soumises à ce régime : elle n’a pu avoir lieu que sur celles à qui l’on clouoit les pattes après leur avoir crevé les yeux, par suite des souffrances qu’une méthode aussi barbare devoit exciter. Sur cent engraisseurs, à peine s’en trouve-t-il maintenant deux qui la suivent, encore ils ne leur crèvent les yeux que deux ou trois jours avant de les tuer. Ainsi les oies d’Alsace, exemptes de ces cruelles opérations, prennent un