Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1805, tome 12.djvu/450

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querelleuse, que malgré sa fécondité et la délicatesse de sa chair, la plupart des économes qui ont tenté d’adoucir son humeur irascible, et de la rendre sociable avec les individus de sa grande famille, les gallinacées, paroissent renoncer aux espérances qu’ils avoient conçues d’abord, attendu la difficulté de l’entreprise.

Cependant, sans vouloir disculper tout à fait la pintade des justes reproches qu’elle mérite, j’observerai, relativement au cri dont on se plaint, qu’il paroît provoqué toujours par des causes, qui véritablement réclament, en faveur de cet oiseau, une sorte d’indulgence : la pintade crie, mais c’est au moment où il survient quelques variations dans l’atmosphère ; elle crie, lorsqu’elle demande à couver, ou qu’elle conduit ses petits, pour appeler le mâle, quand, par un évènement quelconque, elle s’en trouve séparée, et qu’elle a besoin de secours pour se défendre contre leurs ennemis communs. Si une d’entr’elles est poursuivie et blessée, toutes les pintades d’alentour prennent part à l’accident, et se font entendre sur le même ton ; aussi ne leur arrive-t-il pas la moindre chose, que le maître n’en soit averti sur-le-champ.

La pesanteur de son corps, et la trop petite envergure de ses ailes, ne permettent pas à la pintade de prendre facilement son vol de dessus les arbres, où elle aime néanmoins à se percher ; mais en domesticité, elle se tient sur le faîte des édifices, se rend maîtresse de la basse-cour ; et, quoique plus petite que les dindons, elle leur en impose, de manière que, comme le dit le Père Margat, elle a plus tôt fait dix tours, et donné vingt coups de bec, que ces gros oiseaux n’ont pensé à se mettre en défense ; enfin, excepté le paon, toutes les volailles sont forcées de lui céder.

Des pintades de Saint-Domingue. Transportées dans nos colonies par les Génois, en 1508, les pintades sont parfaitement acclimatées dans les possessions espagnoles, où elles errent en liberté au sein des bois et des savanes. Curieux de connoître l’influence qu’avoit pu produire, sur leurs mœurs et leur caractère, cette partie du nouveau monde, je chargeai un jeune naturaliste, M. Damart, que j’avois fait employer par le gouvernement aux îles du Vent, de prendre sur les lieux tous les éclaircissemens dont j’avois besoin, pour fixer l’opinion à cet égard. Il vient de débarquer, après avoir échappé à la fièvre jaune et à la fureur des nègres : voici le résultat des observations qu’il m’a communiquées.

La pintade est parfaitement naturalisée à St-Domingue ; elle y vit sous deux états, domestique et sauvage ; cette dernière condition paroît être celle qui convient le mieux à son tempérament : mais il existe une différence entre l’un et l’autre, c’est que les sauvages se reconnoissent à la tête, qui est presque noire ; et le créole, qui achète au marché une de ces pintades tuées, s’y trompe rarement.

C’est sous le nom de pintades marronnes que les pintades sauvages sont désignées ; elles multiplient considérablement dans les bois de la partie espagnole de St-Domingue, où on les rencontre par troupes ; elles courent extrêmement vite, et ne volent pas volontiers, à moins que ce ne soit pour se jucher. Le chasseur créole, dans le dessein de les atteindre et de les tuer facilement, s’occupe d’abord de les faire percher ; il y parvient, au moyen de chiens dressés à cet effet : aussitôt qu’elles se sentent poursuivies, elles prennent d’abord la fuite, et ne tardent pas ensuite à prendre leur essor pour se percher : le chien les suit et il demeure au pied de l’arbre à attendre son maître. Les pintades, inquiètes, restent sur l’arbre jusqu’à ce que le chasseur, arrivant, a la facilité d’en tuer souvent plusieurs d’un seul coup.

C’est ordinairement le soir qu’on chasse